«Nous, linguistes de France, de Belgique, de Suisse, du Canada, sommes proprement atterrées par l'ampleur de la diffusion d'idées fausses sur la langue française.» Les Linguistes atterrées Les discours sur les «fautes» saturent quasiment l'espace éditorial et médiatique contemporain. Mais la différence entre une faute et une évolution, c'est la place qu'elle occupera à long terme dans l'usage. Et l'usage, ça s'étudie avec minutie. C'est le travail des linguistes. Face aux rengaines déclinistes, il devient indispensable de rétablir la rigueur des faits. Non, l'orthographe n'est pas immuable en français. Non, les jeunes, les provinciaux ou les Belges ne «déforment» pas la langue. Oui, le participe passé tend à devenir invariable. Non, le français n'appartient pas à la France. Oui, tout le monde a un accent, voire plusieurs. Dix idées reçues sur la langue, et surtout trente propositions pour en sortir.
«Qu'est-il resté des agonisants du Cambodge ? Une grande photo de la star américaine tenant dans ses bras un enfant jaune. Qu'est-il resté de Tomas ? Une inscription : Il voulait le Royaume de Dieu sur la terre. Qu'est-il resté de Beethoven ? Un homme morose à l'invraisemblable crinière, qui prononce d'une voix sombre : Es muss sein ! Qu'est-il resté de Franz ? Une inscription : Après un long égarement, le retour. Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Avant d'être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c'est la station de correspondance entre l'être et l'oubli.»
- Le dolmen dont tu m'as parlé, Johan, il est bien sur la route du petit pont ? - À deux kilomètres après le petit pont, ne te trompe pas. Sur ta gauche, tu ne peux pas le manquer. Il est splendide, toutes ses pierres sont encore debout. - Ça date de quand, un dolmen ? - Environ quatre mille ans. - Donc des pierres pénétrées par les siècles. C'est parfait pour moi. - Mais parfait pour quoi ? - Et cela servait à quoi, ces dolmens ? demanda Adamsberg sans répondre. - Ce sont des monuments funéraires. Des tombes, si tu préfères, faites de pierres dressées recouvertes par de grandes dalles. J'espère que cela ne te gêne pas. - En rien. C'est là que je vais aller m'allonger, en hauteur sur la dalle, sous le soleil. - Et qu'est-ce que tu vas foutre là-dessus ? - Je ne sais pas, Johan.
À la mort de son épouse Birgit, Kaspar découvre un pan de sa vie qu'il avait toujours ignoré : avant de quitter la RDA pour passer à l'Ouest en 1965, Birgit avait abandonné un bébé à la naissance. Intrigué, Kaspar ferme sa librairie à Berlin et part à la recherche de cette belle-fille inconnue. Son enquête le conduit jusqu'à Svenja, qui mène une tout autre vie que lui : restée en Allemagne de l'Est, elle a épousé un néo-nazi et élevé dans cette doctrine une fille nommée Sigrun. Kaspar serait prêt à voir en elles les membres d'une nouvelle famille. Mais leurs différences idéologiques font obstacle : comment comprendre qu'une adolescente, par ailleurs intelligente, puisse soutenir des théories complotistes et racistes ? Comment l'amour peut-il naître dans ce climat de méfiance et de haine ? Cette rencontre contrariée entre un grand-père et sa petite-fille nous entraîne dans un passionnant voyage politique à travers l'histoire et les territoires allemands. Plus de vingt-cinq ans après Le liseur, Bernhard Schlink offre de nouveau un grand roman sur l'Allemagne qui sonde puissamment la place du passé dans le présent, et nous interroge sur ce qui peut unir ou séparer les êtres.
Ce court récit inédit de Julien Gracq met en scène une fascination. C'est la vision initiatrice, brève mais répétée, d'une demeure, aperçue à chaque trajet depuis un car traversant la campagne pendant l'Occupation, qui pousse le narrateur à se mettre en route, cheminant seul dans les sous-bois pour s'approcher de la maison. À travers le récit de ce parcours aussi sensuel et contemplatif qu'intériorisé, La Maison déplie, comme une intrigue, la naissance d'un désir.
« Le soir tombait plus vite qu'ailleurs sur l'égouttement de ces fourrés sans oiseaux. Leurs bruits légers et distincts :
Craquements de branches, sifflement faible du vent dans un pin isolé, éteignaient les bruits insignifiants de la campagne - au long d'eux, dans la brume pluvieuse, on marchait comme dans une ombre portée : la route tout entière feutrée et épiante, n'était plus qu'une oreille collée contre la lisière des bois. [...] Après quelques allées et venues assez incertaines au long de la route, l'envie me vint une minute, devant cet obstacle absurde, de renoncer à mon équipée - mais la curiosité fut la plus forte. »
Où sont passées les échoppes des rues de Shanghai où se pressaient les gourmets? La politique sanitaire du gouvernement les a interdites. Que sont devenues les conversations du soir de la cité de la Poussière Rouge? Les caméras omniprésentes et la surveillance sans faille des comités de quartier les ont fait disparaître. Bientôt des bulldozers raseront définitivement la cité et ses vieilles maisons shikumen. Chen, le légendaire inspecteur, ne trouve un réconfort que dans la littérature et la poésie, ultime bastion du passé où il peut encore se réfugier. Pourtant c'est à ses talents d'enquêteur que le Parti fera appel pour résoudre une série de meurtres qui touche le plus grand hôpital de la ville, déjà sous tension. Le mot d'ordre: maintenir à tout prix la stabilité tout en prônant l'efficacité de la politique zéro Covid. Au même moment à Wuhan, les victimes de cette politique se comptent par centaines et les posts des lanceurs d'alerte sont censurés. À quels morts Chen donnera-t-il la priorité?
Prix Livre Inter 2023 et prix littéraire Le Monde 2022 !
Salué par la critique depuis vingt ans mais encore méconnu du grand public, Mathieu Belezi livre avec Attaquer la terre et le soleil un roman magistral, qui incarne la folie et l'enfer de la colonisation de l'Algérie au 19e siècle.
Attaquer la terre et le soleil narre le destin d'une poignée de colons et de soldats pris dans l'enfer oublié de la colonisation algérienne, au dix-neuvième siècle. Et en un bref roman, c'est toute l'expérience d'un écrivain qui subitement se cristallise et bouleverse, une voix hantée par Faulkner qui se donne.
Depuis plus de vingt ans, Mathieu Belezi construit une oeuvre romanesque d'une cohérence étonnante, à la phrase ciselée. La musicalité qui frappe dès les premières lignes d' Attaquer la terre et le soleil fait écho à Le Petit Roi, son premier roman publié en 1998 aux éditions Phébus. Quant à son thème, il renvoie évidemment à sa grande trilogie algérienne, publiée successivement aux éditions Albin Michel ( C'était notre terre, 2008) et Flammarion ( Les vieux Fous, 2011 ;
Un faux pas dans la vie d'Emma Picard, 2015). Est-ce la constance de ce parcours qui explique la fulgurance de ce nouveau roman ? Écrit en quelques mois, Attaquer la terre et le soleil dit en tout cas avec une beauté tragique, à travers les voix d'une femme et d'un soldat, la folie, l'enfer, que fut cette colonisation.
À l'origine de ce roman insolite, il y a d'abord un souvenir d'enfance. Un petit garçon écoute, fasciné, des adultes parler d'un être surdoué, névrosé, pour ne pas dire fou, qui a réussi un exploit : Bobby Fischer. Ce nom reste gravé dans sa mémoire... Bien des années plus tard, alors qu'approche le cinquantième anniversaire de l'affrontement mythique entre Fischer et Spassky, les deux plus grands joueurs d'échecs de leur temps, Barbaglia se souvient, et ce souvenir passe à travers le filtre de sa culture. Comme tout Italien lettré, il connaît Homère sur le bout des doigts. Et un parallèle s'impose à lui : l'Américain colérique, à la personnalité et au destin hors norme, c'est Achille ; et son adversaire russe, ce fin stratège, c'est Ulysse.
Barbaglia décide alors d'écrire un texte autour de ce parallèle étonnant, et de décrire cette bataille culturelle, éthique, sociale et politique entre deux camps opposés, une Iliade moderne. Mais au-delà de l'exercice littéraire, l'auteur raconte aussi l'histoire émouvante d'un être aussi génial qu'inadapté.
Ce qu'on dit de soi est toujours poésie. L'étrange formule est d'Ernest Renan et se trouve dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse. Cependant, comment se dire, depuis sa plus profonde intimité, sans le concours d'une médiation, d'un interlocuteur, qui peut se faire parfois l'essentiel confident ? Pour se dire, Paul Valéry choisit ici d'en appeler à la Méditerranée, cette mer au milieu des terres, comme l'indique son étymologie. Inspirations méditerranéennes est ce dire de soi, cette confidence, et prend place parmi la multitude des divers essais qui constituent l'ensemble intitulé : Variété. Et sans doute est-ce là l'un des textes les plus curieux et les plus délicats de cet ensemble. Et sans doute encore le plus poétique. Comme si cette confidence était aussi, à sa manière, la meilleure des manières de nous rappeler combien la poésie n'a jamais cessé d'être le ton, le la de l'écriture de Paul Valéry, quels qu'aient été les domaines qu'elle s'était donné pour tâche, pour ambition, de parcourir et de révéler.