Comme moi, plusieurs dizaines de femmes ont cru que l'époque rendait caduque notre condamnation au silence et possible celle de notre agresseur, l'un des hommes les plus connus de France.
Ça n'est pas ce qui s'est passé. On a été classées sans suite. Mais nos bulles de solitude ont éclaté. On s'est rencontrées, racontées, soutenues. On s'est fait la courte échelle pour surmonter les murs de découragement.
On a parlé plus haut, plus nombreuses.
H. D.
Des lettres touchantes et parfois très drôles, une multitude de voix littéraires, des grands noms de la littérature française, qui nous parlent d'adolescence, de transmission, de ce que c'est que grandir en n'oubliant pas celui ou celle que l'on a été. Le recueil réunit les lettres d'auteur.e.s ayant participé à des ateliers d'écriture avec des adolescent.e.s, et, en écho, une vingtaine des meilleures lettres d'adolescent.e.s qui ont écrit à l'adulte qu'ils vont devenir, ainsi que des lettres de personnalités invitées qui se sont également prêté à l'exercice. Une réflexion qui se dessine en creux sur nos identités en construction !
La marraine (Sarah Chiche) et le parrain (Patrick Chamoiseau) du projet sont auteurs au Seuil.
Les sept auteurs qui animent les ateliers sont Alex Cousseau, Amélie Sarn, Joelle Ecormier, Jean-Jacques Fdida, Denis Baronnet, Bertrand Puard et Gary Ghislain Les personnalités participant au projet sont les autrices Julia Kerninon, Clémentine Beauvais, Valentine Goby, Maria Pourchet, Anne-Fleur Multon, la chanteuse Pomme et le bédéiste Berthet One
Je n'avais jamais imaginé combien les agressions sexuelles commises contre un enfant pouvaient détruire sa vie d'adulte. J'étais choqué par le scandale de tels crimes, surtout quand ils sont perpétrés par des hommes d'Église. Je m'en étais tenu là jusqu'au jour où m'est revenu d'un coup ce qu'un prêtre m'avait fait subir pendant mon enfance. J'avais été enfermé dans le déni pendant près de quarante ans. Parce que j'avais porté plainte et que j'avais enfin parlé, j'ai cru pouvoir guérir, mais tout s'effondrait. Dans les décombres de mon histoire, revenait une question lancinante : comment avais-je bien pu choisir de devenir prêtre à mon tour??
Les Français souffrent et ne le disent pas.Comment faisons-nous pour tolérer le sort réservé à ces chômeurs et ces «nouveaux pauvres» dont le nombre ne cesse de croître ? Et comment parvenons-nous, dans le même temps, à accepter sans protester des contraintes de travail toujours plus dures dont nous savons pourtant qu'elles mettent en danger notre intégrité mentale et physique ?Christophe Dejours, spécialiste du travail, découvre à l'origine de ce consentement et de cet étrange silence la peur ; puis la honte quand, pour faire fonctionner la machine néolibérale, nous finissons par commettre des actes que pourtant nous réprouvons. Il révèle comment, pour pouvoir endurer la souffrance (subie et infligée) sans perdre la raison, on se protège.Marquer ses distances par rapport aux victimes du système est un bon moyen pour nier la peur en soi et débarrasser sa conscience de sa responsabilité vis-à-vis d'autrui.A la lumière du concept de distorsion communi-cationnelle de Jürgen Habermas et surtout de celui de banalité du mal de Hannah Arendt, Christophe Dejours, patiemment, met au jour le processus qui fonctionne comme un piège. Alors la souffrance devient pensable. Et une autre conception de l'action possible.
C'est en 1980 que Norbert Elias songe à faire son Mozart, et c'est l'éditeur de ses oeuvres, Michael Schröter, qui assure aujourd'hui la publication posthume de cet inédit. Contre les musicologues qui ont momifié Mozart, Elias s'efforce de comprendre qui fut cet artiste génial, né dans une société qui ne connaissait pas encore la notion romantique de « génie ».
Les tensions qui déchirent l'existence quotidienne de Mozart, les rapports complexes avec son père, ses relations érotiques et ses tourments sont approchés avec autant de rigueur que de tendresse. Elias analyse également les comportements de ce « clown », son besoin irrépressible de choquer la noblesse de cour en faisant des gestes déplacés, en proférant des mots obscènes. Ces grossièretés scatologiques trouvent ici une explication à la fois psychologique et sociologique lorsque l'auteur décrit les relations tendues qui lient entre eux dominants et dominés, maîtres de la cour et serviteurs. A ce propos, Elias écrit : « Comme beaucoup d'individus occupant une position marginale, Mozart souffrait des humiliations que lui infligeaient les nobles de la cour, et il s'en irritait. Mais ces réactions d'aversion à l'égard de la couche sociale supérieure allaient de pair avec des sentiments intensément positifs : c'est précisément de ces mêmes gens qu'il voulait être reconnu, par eux qu'il voulait être considéré et traité commun un individu de valeur égale à cause de sa création musicale. » En refermant le Mozart d'Elias, on a le sentiment d'avoir découvert un regard aussi lucide que généreux sur la vie des hommes en société.
« Un jour, ce conflit trouvera sa résolution, mais la réalité quotidienne est pratiquement insupportable. Je ne pouvais plus la tolérer en restant assis à mon bureau. Je me sens responsable des atrocités commises, en mon nom, par la moitié israélienne de l'histoire. Laissons les Palestiniens prendre leurs responsabilités face à celles que l'on commet en leur nom. De notre côté, il y a l'entreprise, toujours en cours, des colonies installées sur une terre annexée. Et cette forme de violence, qui a fait des ravages dans tous les Territoires, s'accompagne d'une violence aussi inacceptable du coeur et de l'esprit : l'égoïsme borné et autosatisfait du nationalisme moderne. » L'auteur de ces lignes est historien, poète et écrivain, professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, membre de l'Académie des sciences.
Au tournant du millénaire, peu après la deuxième intifada, David Shulman devient, avec ses amis palestiniens et israéliens l'un des fondateurs d'un mouvement menant des actions de solidarité au jour le jour, mouvement de protestation civile pour la paix qui s'inspire de la tradition de non-violence de Gandhi et Martin Luther King. Son nom : Ta?ayush, en arabe « coexistence », de ta?ayasha, « vivre ensemble ». Il n'est pas indifférent que ce mouvement ait choisi de se donner un nom arabe - plutôt qu'hébreu ou anglais.
Se refusant à un optimisme lénifiant, le poète militant recommande « le désespoir comme point de départ ». De ce « sombre espoir » naît une lucidité qui prend la forme d'une inquiétude dynamique.
« Dans ma famille, on se tuait de mère en fille. Mais c'est fini. Il y a longtemps déjà, je me suis promis que cela devait s'arrêter avec moi. Ou plutôt, avant moi. Sauve qui peut la vie ! J'aime cette expression. C'est le titre d'un film de Jean-Luc Godard de 1980. Mais lui, il avait mis des parenthèses à (la vie), comme une précision, une correction de trajectoire. Le sauve-qui-peut, c'est la débandade, la déroute. Le sauve qui peut la vie, c'est la ligne de fuite, l'échappée parfois belle. J'en fais volontiers ma devise. Il m'a fallu du temps pour comprendre que ce qui était une manière d'être - une tendance à parier sur l'embellie, un goût de l'esquive, un refus des passions mortifères, une appétence au bonheur envers et contre tout -, avait aussi profondément influencé ma façon de penser.
Tel est le sujet de ce livre. Il commence par un récit familial, intime. C'est un registre auquel je m'étais jusqu'ici refusée. Moi qui ai si souvent sollicité, dans mes enquêtes, de longs entretiens biographiques, suis toujours restée discrète sur ma propre histoire et celle de ma famille. Certes, je montrais le bout du nez de mon implication, persuadée qu'il fallait assumer cette part motrice (et non maudite !) de toute recherche. Mais j'en restais là. Peut-être que chaque livre arrive à son heure. Cette fois, c'est donc mon récit qui est matière à réflexion. Je m'appuie sur lui pour développer quelques idées qui me tiennent à cour. J'ai plus que jamais envie de les défendre aujourd'hui, face à la montée des préjugés, de l'injustice, de l'intolérance et contre l'accablement qui en résulte et se répand. Je souscris à cet "optimisme de la volonté" dont parlait Antonio Gramsci, qui n'est pas une détermination obtuse, ni une confiance naïve, mais bien la seule réponse possible au "pessimisme de l'intelligence".
J'aimerais que ce texte, écrit sur fond de drames passés, collectifs et privés, soit une lecture revigorante, une sorte de fortifiant pour résister au mauvais temps présent. » N.L.
" je veux porter témoignage.
Tout ce que vous écrivez, on le sait déjà, et les grandes choses, [. ] vous ne les connaissez pas. ce ne sont pas les grandes choses qui importent, mais la tyrannie au jour le jour que l'on va oublier. mille piqûres de moustiques sont pires qu'un coup sur la tête. j'observe, je note les piqûres de moustiques. un peu plus tard : - j'ai lu quelque part que la peur de quelque chose est pire qu'ici chose elle-même.
Quelle angoisse, avant la perquisition ! et quand la gestapo est venue, j'étais froid et résolu. après, qu'est-ce qu'on a bien mangé ! toutes les bonnes choses que nous avions cachées et qu'ils n'ont pas trouvées. - vous voyez, voilà ce que je note. ".
Joueur de rugby professionnel, ancien du Stade français, alors dans le championnat d'Italie, Aristide Barraud et sa soeur Alice, acrobate de métier, étaient au Petit Cambodge, le 13 novembre 2015.
Dès qu'il a entendu les premiers tirs, Aristide a eu un réflexe inouï : il a attrapé sa soeur pour la protéger. Blessé aux jambes et au poumon, il se vide de son sang. A son tour, Alice lui sauve la vie en se blottissant contre lui, la chaleur de son corps évite à son frère de sombrer avant l'arrivée des secours.
Dans son livre, Aristide Barraud, âgé de 27 ans, raconte sa lente renaissance, chaotique et lumineuse aussi. Il y a les opérations à répétition, un corps à la peine ; mais plutôt que de s'apitoyer - ce n'est pas vraiment dans le caractère d'un grand sportif, Aristide, quand il revient sur ses journées d'hôpital à Bichat, décrit comment la vie revient peu à peu dans l'observation méticuleuse d'un immeuble dont il suit les étapes de l'édification ou le flux incessant et presque organique des voitures sur le périphérique qui borde sa chambre.
Dans une langue déliée très influencée par le rap, il y a de très belles pages également sur le brouillard vénitien, sur les chiens errant dans les ruines d'Aquila, autant d'échappées vers l'Italie, son pays d'adoption qu'il doit finalement quitter le jour où il fait le choix de ne plus jamais rejouer au rugby. Il y a aussi Paris, les courses folles dans la ville tant aimée à la recherche des sensations retrouvées.
L 'association de l 'etat de droit et de l 'etat social devait permettre de construire une " société de semblables " où, à défaut d'une stricte égalité, chacun serait reconnu comme personne indépendante et prémuni contre les aléas de l'existence (chômage, vieillesse, maladie, accident du travail...) ; " protégé ", en somme.
Ce double pacte - civil et social - est aujourd'hui menacé. d'un côté, par une demande de protection sans limites, de nature à générer sa propre frustration. de l'autre, par une série de transformations qui érodent progressivement les digues dressées par l 'etat social : individualisation, déclin des collectifs protecteurs, précarisation des relations de travail, prolifération des " nouveaux risques "...
Comment combattre cette nouvelle insécurité sociale ? que signifie être protégé dans des " sociétés d'individus " ? c'est à ces questions que tente de répondre robert castel.
« Aucun d'eux ne m'a dit où était maman. J'accepte que jamais maman n'aura de sépulture, et je comprends que jamais je ne serai en paix. Maman savait qu'elle allait mourir. Mais elle ne savait pas qu'elle serait jetée aux charognards. Je me dois d'être sa tombe, aussi longtemps que ses os traîneront quelque part sur ces collines. Vivante, elle m'a portée dans son ventre, elle m'a nourrie de son sein, elle m'a portée sur son dos, elle m'a aimée.
Morte, je la porterai, dans mon ventre, sur mon dos. Partout, tout le temps ».
A K-J.
En kinyarwanda, « au-revoir »se dit : « Prends soin de survivre à la journée ».
Annick Kayitesi-Jozan a survécu au génocide des Tutsis en 1994, au Rwanda. Elle avait 14 ans. Sa mère, son petit frère, une grande partie de sa famille ont été massacrés. Réfugiée en France, elle apprend au qutodien à vivre avec les morts, et avec les siens. Désormais, elle doit répondre aux questions de ses enfants. Alors, elle se souvient. Elle remonte le temps jusqu'à la cuisine pleine de suie où, pendant les tueries, elle sert de bonne aux voisins qui viennent de dénoncer sa mère.
Hantée, Annick Kayitesi-Jozan fait converser les bourreaux et les victimes, se télescoper les naissances et les disparitions, la mémoire et le présent. Sa voix singulière est portée par une écriture intime, poétique et poignante.
Dans un collège public de la grande banlieue parisienne, aujourd'hui, un jeune prof de lettres raconte son métier, au jour le jour et au plus près des classes et de leurs élèves. Des silhouettes émergent, celles d'enfants sur le point d'entrer dans l'adolescence : de la sixième à la troisième, ils viennent en cours mais n'ont pas que ça à faire. À leur âge, il y a plus important. Les cours qui s'égrainent au fil de l'année forment autant d'heures bavardes, épuisantes parfois, mais ce sont aussi des heures passionnantes où, au détour d'une question, les personnalités affleurent. Qu'il s'agisse de réagir, à chaud, aux attentats qui ensanglantent le pays ou à la disparition d'un grand écrivain, les échanges auxquels le lecteur assiste, comme s'il se trouvait lui-même en classe, sont souvent très surprenants, vivants, jamais décevants. On ne sait jamais ce qu'on va trouver dans une salle de cours, se dit le prof qui, trimestre après trimestre, interroge, écoute, observe.
Le procès aux assises de l'attentat perpétré contre Charlie Hebdo s'ouvrira au printemps 2020. Quel est l'impact de la violence de cet attentat sur la vie de celles et ceux qui restent meurtris ? Maryse Wolinski raconte sans concessions sa traversée chaotique des cinq dernières années, la douleur de l'absence, l'impossibilité de la résilience et l'irruption de la maladie qui la condamne à un sursis perpétuel. Reste l'espoir de se frayer enfin un chemin vers la paix intérieure et la vraie vie.
Les thuriféraires de la mondialisation, comme ses détracteurs, focalisent identiquement leurs analyses sur la collusion de l'économie et des nouveaux avatars, téléinformatiques, de la technique. Et, pour dresser leurs bilans ' positif ou négatif ', ils scrutent et traquent identiquement les effets du processus dans les mêmes champs multiples et hétérogènes de l'écologie et du droit, de la psychologie et de la sexologie, de la linguistique et de la morale, de la politique et des arts figuratifs' Mais dans cet inventaire borgésien, un domaine demeure, de part et d'autre, absent': celui de la spatialité, autrement dit, des modalités selon lesquelles les sociétés humaines construisent et vivent leur environnement spatial.
À l'issue d'une série d'articles, écrits au fil des vingt dernières années, sur les figures multiples de la spatialisation et de son histoire (architecture, urbanisme, aménagement, protection du patrimoine), Françoise Choay découvre progressivement un propre de l'homme, ''la compétence d'édifier'', et les enjeux majeurs dont cette compétence est dépositaire à l'heure de la mondialisation.
Entre journal de bord d'une prof de banlieue et réflexion humaniste, Mauvaise langue tire le signal d'alarme, s'en prend aux attitudes démagogiques et affirme qu'un jeune qui parle mal est en danger, qu'une société qui laisse sa langue se déliter court le risque de la barbarie. L'auteur part d'un constat fait sur le terrain, dans les classes où elle enseigne : la langue des jeunes s'appauvrit de jour en jour, tant sur le plan du vocabulaire que de la grammaire. Pour un nouveau mot qui rentre dans le dictionnaire (par exemple le verbe « kiffer »), c'est douze verbes qui sont condamnés à ne plus être prononcés par les adolescents, douze nuances qui passent par pertes et profit. Car, la grammaire est un système de lois et de règles et qui les ignore, les malmène, les recompose au petit bonheur, menace le socle commun qui permet aux êtres humains de communiquer et de se comprendre. Le barbarisme est toujours une menace de barbarie. Encouragés par la « mode banlieue » et des supports de communication qui demande rapidité et laconisme (emails, SMS, MSN...), les adolescents parlent une langue appauvrie doublée d'une orthographe minée par la transcription phonétique et s'en vantent car « mal parler fait bien ». Mais c'est si inventif, disent certains, écoutez leurs néologismes, entendez leur musique ! Certes, on peut apprécier, encore faut-il être « bilingue », connaître les règles pour pouvoir s'en écarter, s'évader, inventer à partir d'elles. Mauvaise langue est donc une invitation polémique et constructive au bilinguisme, à ce bilinguisme des jeunes qui ne peuvent pas faire l'économie de la syntaxe et du vocabulaire, sous peine de le payer très cher. Nourri d'anecdotes et de réflexion, ce texte dénonce la démagogie ambiante qui consiste à voir dans toute initiative et dans toute rébellion un acte créatif. Attention, prévient Cécile Ladjali, certaines rébellions ne sont que poses et duperies.
Nous avons fait notre coming out ensemble.
Au collège, quand nous nous sommes rencontrés, Anne-Sarah n'osait pas porter d'appareils auditifs ; moi, je n'osais pas avouer que j'aimais les garçons. À vingt ans, nous nous sommes affichés. Nous avons appris à faire de nos hontes des forces intimes et politiques. Ensemble, nous sommes devenus juristes. Anne-Sarah a créé la première permanence juridique en langue des signes. Ensemble, nous sommes devenus écrivains. Un soir, pendant l'apéritif, Anne-Sarah m'a appris qu'elle allait perdre la vue. Je ne l'ai pas crue.
« Je me souviens qu'on hurlait de rire quand elle me racontait ces histoires. Hurler de rire était la seule preuve tangible que le handicap ne nous touchait pas, resterait un accessoire, un gadget dans notre amitié.
On n'utilisait jamais ce mot «handicap» ; il était tabou. » Mathieu Simonet est avocat. Il a écrit plusieurs romans publiés au Seuil. Ancien artiste associé aux Ateliers Médicis, il a réalisé un documentaire consacré à Anne-Sarah Kertudo.
Partout en France, des gens ordinaires sont en train de prouver que la transformation sociale n'est pas l'apanage des puissants. Partant du constat que l'État providence et le marché sont défaillants, ils ont décidé d'oeuvrer eux-mêmes pour répondre aux enjeux de notre temps. Pas à pas et ensemble ils apportent des réponses viables et applicables à court terme à des problématiques du quotidien : se nourrir, se loger, travailler, éduquer les enfants, produire de l'énergie, fabriquer et réparer des objets, faire vivre son quartier... Ils créent des monnaies locales, des banques villageoises, des entreprises coopératives, des parcs éoliens citoyens, des zones de résistance créative, des habitats groupés, des ateliers d'auto réparation de vélo, des circuits-courts producteurs consommateurs...
Ces citoyens ordinaires luttent contre le fatalisme et l'apathie et prouvent que chacun a sa place et un rôle dans l'action. À l'heure où les urgences écologiques et sociales frappent chaque jour avec plus d'insistance aux portes de nos consciences, ces citoyens croient en un avenir meilleur et le mettent en oeuvre dès aujourd'hui. Ils redonnent espoir et envie d'agir autour d'eux, ils font renaître l'utopie.
Emmanuel Daniel a sillonné les routes de France pour aller voir une cinquantaine de projets alternatifs en pleine activité. Cette virée en utopie donne un aperçu étonnant de l'extrême variété, de la richesse et du dynamisme de ces mouvements. Dans une analyse plus générale l'auteur revient sur ces nouveaux utopistes : qui sont-ils ? Qu'est-ce qui relie entre elles ces initiatives ? En quoi ce mouvement est-il en train de changer la société ?
Sang, organes, cellules, tissus, embryons, etc. : le corps humain parcellisé est devenu la source d'une nouvelle plus-value. Dans la course mondialisée à l'innovation médicale, le vivant est soumis à trois opérations qui caractérisent ce qu'on appelle la bio économie : sa réduction au statut d'objet, grâce aux technologies de fragmentation du corps, le stockage des fragments grâce aux technologies de maintien du vivant in vitro, et leur commercialisation. Entre questionnement épistémologique et analyse sociologique, ce livre passionnant éclaire les enjeux économiques, politiques et éthiques de cette économie particulière. Ainsi s'attarde-t-il sur le recyclage des tissus humains (cordons ombilicaux, organes, etc.), en montrant que ce terme cache leur marchandisation. De même fait-il apparaître que derrière l'appel massif au don (sang, ovules, sperme) se développe une logique d'appropriation et de brevetage. La production de la vie elle-même, grâce à celle d'embryons et de cellules souches embryonnaires, nourrit une forme voilée d'exploitation du corps féminin. Et inévitablement, dans notre économie mondialisée, ce capital issu de la « valorisation » du corps parcellisé se nourrit des corps des plus démunis, avec la sous-traitance des essais cliniques vers les pays émergents, ou le tourisme médical. Une somme de découvertes en même temps qu'une réflexion éthique engagée.
3 à 4 millions de personnes ont défilé en France, les 11 et 12 janvier derniers, sous une revendication d'identité commune : "Je suis Charlie." Mais qui est Charlie ?
Qui sommes-nous, nous qui avons affiché une telle détermination dans le refus de la violence aveugle, la réaffirmation que la république est notre socle commun ? À quoi aspirons-nous vraiment, et de quoi Charlie est-il le nom ?
Par sa forme (10 à 12 cartes bichromes in texte) et son ton, ce petit essai prend délibérément la suite du Mystère français (2013, "La République des idées", 45 000 exemplaires vendus), dont il constitue en quelque sorte la conclusion, telle que "l'événement Charlie" autorise à l'écrire.
En 140 pages, il pose un diagnostic éclairant sur le mal qui ronge les classes moyennes françaises. Un livre bien peu consensuel, et qui donnera matière à débats, loin de l'unanimisme ambiant.
Emmanuel Todd est historien et démographe, chercheur à l'INED. Il a notamment publié Le Rendez-vous des civilisations (Seuil, 2007, avec Youssef Courbage), Après la démocratie (Gallimard, 2008) et, avec Hervé Le Bras, deux ouvrages qui ont fait date, L'Invention de la France. Atlas anthropologique et politique (Hachette, 1981, rééd. Gallimard, 2012) et Le Mystère français (Seuil, La République des idées, 2013).
Qui sont les « classes moyennes » ? Forment-elles encore le centre de gravité autour duquel s'organise la société française, ou sont-elles, au contraire, le foyer d'une sourde déstabilisation de ses équilibres fondamentaux ? Ces catégories auxquelles la société industrielle des Trente Glorieuses promettait l'épanouissement et le progrès social affrontent désormais l'incertitude et la peur du déclassement. Plusieurs échéances électorales récentes ont ainsi montré qu'elles pouvaient rallier le camp du rejet et de la contestation. Loin de constituer un ensemble stable et homogène, elles se présentent de plus en plus comme une zone de transit social à hauts risques. Elles sont, en outre, l'épicentre d'une fracture générationnelle croissante entre ceux qui, arrivés au bon moment, ont pu tirer profit de la croissance passée, et de nouveaux venus qui, pourtant plus diplômés que leurs aînés, peinent à prendre place dans cet univers. Autant d'éléments qui suggèrent que le malaise français n'affecte pas seulement les marges, mais aussi le coeur du monde social.
Avec plus de soixante-dix millions d'exemplaires vendus à travers le monde et une adaptation cinématographique attendue, la trilogie Cinquante nuances de Grey connaît un succès phénoménal. Comment comprendre cet engouement planétaire pour une romance érotique mettant en scène l'initiation sadomasochiste d'une jeune ingénue par un séducteur richissime qui finit par épouser sa soumise ? Suffit-il d'invoquer le caractère osé du livre et la grossièreté de ses ficelles ou d'ironiser sur la popularité naissante d'une pornographie pour mères de famille ?
C'est une tout autre lecture, autrement subtile et troublante, qu'Eva Illouz propose dans cet ouvrage. Considérant les best-sellers comme un baromètre des valeurs, elle montre que la dialectique de la soumission et de l'autonomie, de la souffrance et de l'épanouissement sexuel, de l'assignation stylisée des rôles et de la confusion des identités que cette bluette SM déploie, sous forme stéréotypée, entre en résonance avec les apories contemporaines des relations entre hommes et femmes. Si elle semble procurer à ses lectrices un tel plaisir, c'est qu'elle formule allégoriquement les contradictions émotionnelles et sentimentales qu'elles éprouvent et que, à la manière des guides de développement personnel, elle s'avise de leur prodiguer d'audacieux conseils pour les résoudre.