De 1892 à 1924, près de seize millions d'émigrants en provenance d'Europe sont passés par Ellis Island, un îlot de quelques hectares où avait été aménagé un centre de transit, tout près de la statue de la Liberté, à New York. Parce qu'ils se sentaient directement concernés par ce que fut ce gigantesque exil, Georges Perec et Robert Bober ont dans un film, Récits d'Ellis Island, histoires d'errance et d'espoir, INA - 1979, décrit ce qui restait alors de ce lieu unique, et recueilli les traces de plus en plus rares qui demeurent dans la mémoire de ceux qui, au début du siècle, ont accompli ce voyage sans retour.
Notre livre se compose de trois grandes parties principales. La première restitue, à travers une visite à Ellis Island et à l'aide de textes et de documents, ce que fut la vie quotidienne sur ce que certains appelèrent ' l'île des larmes '. Dans la deuxième, ' Description d'un chemin ', Georges Perec évoque sa relation personnelle avec les thèmes de la dispersion et de l'identité. La troisième, 'Mémoires', reprend les témoignages d'hommes et de femmes qui, enfants, sont passés par Ellis Island et racontent leur attente, leur espoir, leurs rêves, leur insertion dans la vie américaine.
Le film Récits d'Ellis Island de Georges Perec et Robert Bober est édité en DVD par l'Institut National de l'Audiovisuel. Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site ina.fr.
Il existe des textes parasites qui tombent tout entiers du corps principal sur lequel ils s'étaient greffés. Tel Paris-la-politique sorti de Virgile, non. Tel Une partie de campagne détaché des Guérillères morceau par morceau. Les autres histoires sont aussi à leur manière des parasites d'une expression écrite politique, the Straight Mind.
Je me suis levé et nous avions quitté le port. Tout, dans la cabine, vibrait au rythme lent de la machine : les placards, les portes, les corps. Cinq étages plus bas, comme réfugiés entre les piles de containers, au centre du bateau, les taureaux étaient immobiles, statues de poils et de cornes, figées de réflexion, enveloppes impassibles. Les moutons, en petite assemblée, mâchaient du foin autant parce que la faim les tiraillait que pour se donner une contenance. Les chevaux, eux, avaient les yeux alertes, les oreilles mobiles : ils étaient tout à fait éveillés.
«Soudainement, alors que nous remontions la rue Paul-VI, une plaque de tôle ondulée s'abattit à nos pieds dans un bruit de tonnerre et le jésuite l'enjamba distraitement, sans dévier de sa route, sans un mot de commentaire pour un incident si notable. Quant à moi, les mains dans les poches, tandis qu'il tenait toujours ses deux sacs à bout de bras, je me sentais de plus en plus insignifiant, de plus en plus déplacé, à ses côtés aussi bien qu'à Bethléem, voire dans ce pays tout entier, où nul ne m'avait demandé de venir m'enquérir du sort des chrétiens, seul, sans mandat, empiétant ainsi sur les prérogatives de l'Église ou des sacro-saintes ONG.» Chrétiens est le récit d'un séjour à Bethléem et dans d'autres localités de Palestine, pendant les mois de décembre 2002 et janvier 2003.
Depuis combien de temps Gégène n'a pas vu son copain Gabineau ? Lulu prétend que ça fait un bon moment qu'il cherche à le revoir. C'est même plutôt elle qui parle de ce bonhomme mystérieux, alors qu'elle avoue également ne l'avoir jamais rencontré. Gabineau serait un ami d'enfance, ou alors il s'agirait d'un ancien collègue, un copain de caserne... En tout cas, Gégène arrive dans la ville de son ami, mais il ne bouge pas de la 4L de Lulu. Il préfère attendre dans la voiture plutôt que de se perdre dans Malakoff. Peut-être Gégène se demande si Gabineau habite encore ici ? Peut-être son copain vit maintenant à Melun et fait office, comme l'imagine son fils Charlie, de chef secrétaire bossu et un peu spécial ? Peut-être ce Gabineau a fait l'Algérie et a connu un pied-noir surnommé la Tchitchette, quand celui-ci était enfant, ou plutôt à l'époque adulte, quand il a eu cette fille que tout le monde surnomme maintenant Mimille ? Peut-être aussi Gégène s'en contrefout tout bonnement et préfère se rouler une cigarette, avec son « toubaque », dans la 4L de Lulu en attendant que ça passe.
Ce livre est le récit d'un rite de table célèbre à la Légion étrangère, la «popote des lieutenants», raconté ici par l'un des participants, un aspirant médecin qui effectue son service militaire. La structure du récit suit l'organisation très protocolaire du dîner. Au cours de ce repas, l'animateur en chef ou «popotier» (le plus jeune des lieutenants engagés) est chargé de mettre l'ambiance en punissant les hôtes qui ne respectent pas le règlement (sous la forme de pots pendant lesquels la «victime» est sommée de «raconter»), tandis que le président (le plus âgé des officiers présents) dirige les débats d'une main de fer. L'objectif de la popote : la cohésion et l'aliénation des convives par l'expression des non-dits et la répression des initiatives personnelles, est bâti sur un tissu d'anecdotes rythmées par les «vos gueules là-dedans!» du popotier. Les digressions mentales du narrateur et le traitement systématique des pages comme autant de feuilles volantes tentent d'associer - dans ce texte à tiroirs - la cohésion (nécessaire à la compréhension du texte) et la liberté (ou «part féminine», tabou suprême de la popote).