Rudyard Kiping (1865-1936)
"Après le mariage, il se produit une réaction, tantôt forte, tantôt faible, mais il s'en produit une tôt ou tard, et il faut que chacun des conjoints suive la marée, s'il désire que le reste de la vie se passe au gré du courant.
Dans le cas des Cusack-Bremmil, cette réaction ne se produisit que la troisième année après le mariage.
Bremmil était difficile à mener, même quand tout marchait pour le mieux, mais ce fut un mari parfait jusqu'à ce que le petit enfant mourut et que mistress Bremmil se couvrit de noir, maigrit, et s'endeuilla comme si le fond de l'univers s'était dessoudé.
Peut-être Bremmil eût-il dû la consoler. Il essaya, je crois, de le faire, mais, plus il prodiguait les consolations à mistress Bremmil, plus elle se désolait, et par conséquent plus Bremmil se sentait malheureux.
Le fait est qu'ils avaient besoin d'un tonique. Et ils l'eurent.
Mistress Bremmil peut en rire aujourd'hui, mais à cette époque-là la chose n'avait rien de risible pour elle.
Voyez-vous, mistress Hauksbee apparut à l'horizon, et partout où elle paraissait, il y avait des chances d'orage. À Simla, on l'avait surnommée le pétrel des tempêtes."
Recueil de 18 histoires.
Quelques aspects de la vie dans l'Inde britannique , notamment à la station d'été de Simla.
Paul Féval (1816-1887)
"Ceux qui ont voyagé par les sentiers étroits, mêlés, croisés, qui se coupent, qui se bifurquent, qui se replient sur les landes du pays de Redon, comme le volumineux et bizarre paraphe d'un garde-notes de l'ancien régime, ont pu rencontrer parfois le vieux Jobin de Guer, que les bonnes gens de l'Ille-et-Vilaine appellent indifféremment Job-Misère ou Job le Rôdeur.
Jobin est pauvre. Il ne possède en ce bas monde qu'une vieille gibecière de filet qui lui sert de besace, une médaille d'étain, portant gravées les armes de M. le marquis de la ***, et un grand bâton jaune. Il n'a point de parents pour soutenir ses vieux jours, point de gîte où reposer sa tête grise.
Sa vie est celle du Juif-Errant. Il marche, il marche toujours, ne couchant jamais deux nuits de suite sous le même toit ; partant dès le matin et ne s'arrêtant que lorsque le soleil s'est caché derrière l'horizon. - Mais il n'a pas toujours dans sa poche les cinq sous de la légende, et, au contraire du cordonnier Isaac, il est bon chrétien autant que pas un.
La première fois que nous le rencontrâmes, c'était dans la vaste lande de Renuc, le soleil couchant ne montrait plus que la moitié de son disque derrière les rouges bruyères du bourg de Bains.
Jobin de Guer marchait devant nous à une centaine de pas de distance. Les rayons du soleil, obliques et presque parallèles au plan de la lande, envoyaient son ombre jusqu'à nous. Il allait, arpentant le chemin d'un pas grave et ferme encore. Les profils de sa grande taille que le couchant dessinait en lignes brillamment empourprées, atteignaient, grâce à ce jeu de lumière des proportions presque fantastiques.
Nous étions jeune ; la main d'un ami nous attendait, ouverte, au bout du voyage ; nous rejoignîmes bientôt le pauvre Job, qui était bien vieux, lui, et qui, de quelque côté que se tournât sa course, n'espérait plus toucher, le soir venu, la main d'un frère."
Job-Misère paie son gîte et son couvert en contant des histoires, le soir, au coin du feu. En voici trois entendues par Paul Féval : trois histoires bretonnes dans lesquelles planent le mystère, la trahison, la fidélité et bien sûr... l'âme bretonne.
"Le joli château" - Anne des Iles" - "La femme blanche des marais"
Edouard Corbière (1793-1875)
"Les observateurs qui ont vu d'un oeil curieux s'éloigner du port un navire emportant au loin sur les mers un équipage sortant du cabaret, n'ont pas manqué de raconter, et les adieux du matelot à ses amis, et les baisers effusifs dont il couvre les filles en pleurs qu'il va quitter peut-être pour toujours. Sans doute il y a quelque chose d'étrange dans ce spectacle du capitaine impatient, qui gourmande l'hésitation de ces marins, qui semblent se rattacher à la terre, en prodiguant toutes les marques possibles d'affection aux objets qu'ils abandonnent sur ce rivage qui va disparaître à leurs yeux pénétrés de regret. Mais ce n'est pas au moment du départ que le matelot est l'être le plus intéressant à observer : c'est quand il se sent une fois au large que la plus singulière des métamorphoses qu'il peut subir s'opère dans son individu pour ainsi dire multiple.
La première chose qu'il fait lorsqu'il a bien pris son parti et qu'il a dit adieu à la côte chérie qui va s'évanouir à l'horizon, c'est de changer son costume ; il descend dans le logement de l'équipage, et il ne remontera sur le pont qu'après avoir fait subir à sa toilette le changement le plus complet."
11 contes maritimes :
"Les premiers jours de mer" - "Le Roi-Matelot" - "Petite guerre en mer" - "Le Baron-Rouge" - "Un négrier" - "Folie de bord" - "Le naufragé de la Barboude" - "Un contre-amiral en bonne fortune" - " Petit combat" - "Le novice des aspirants de marine" - "Le forban mon ami".
Edouard Corbière est considéré comme l'un des pères de la littérature maritime.