George Sand (1804-1876)
"Il faudrait trouver un nom à ce poème sans nom de la fabulosité ou merveillosité universelle, dont les origines remontent à l'apparition de l'homme sur la terre, et dont les versions, multipliées à l'infini, sont l'expression de l'imagination poétique de tous les temps et de tous les peuples.
Le chapitre des légendes rustiques sur les esprits et les visions de la nuit serait, à lui seul, un ouvrage immense. En quel coin de la terre pourrait-on se réfugier pour trouver l'imagination populaire (qui n'est jamais qu'une forme effacée ou altérée de quelque souvenir collectif) à l'abri de ces noires apparitions d'esprits malfaisants qui chassent devant eux les larves éplorées d'innombrables victimes ? Là où règne la paix, - la guerre, la peste ou le désespoir ont passé, terribles, à une époque quelconque de l'histoire des hommes. Le blé qui pousse a le pied dans la chair humaine dont la poussière a engraissé nos sillons. Tout est ruine, sang et débris sous nos pas, et le monde fantastique qui enflamme ou stupéfie la cervelle du paysan est une histoire inédite des temps passés. Quand on veut remonter à la cause première des formes de sa fiction, on la trouve dans quelque récit tronqué et défiguré, où rarement on peut découvrir un fait avéré et consacré par l'histoire officielle...."
George Sand nous entraîne dans le monde du bestiaire imaginaire issu des croyances et des peurs d'autrefois, des lavandières de la nuit aux fadets en passant par les meneux de loups...
Suite aux "Légendes rustiques", un échange épistolaire au sujet d'une adolescente à l'intelligence limitée, Fanchette, qui a disparu. Considérée comme une charge par l'hospice qui l'avait recueillie, elle avait été abandonnée en pleine campagne.
Paul Féval (1816-1887)
"Ceux qui ont voyagé par les sentiers étroits, mêlés, croisés, qui se coupent, qui se bifurquent, qui se replient sur les landes du pays de Redon, comme le volumineux et bizarre paraphe d'un garde-notes de l'ancien régime, ont pu rencontrer parfois le vieux Jobin de Guer, que les bonnes gens de l'Ille-et-Vilaine appellent indifféremment Job-Misère ou Job le Rôdeur.
Jobin est pauvre. Il ne possède en ce bas monde qu'une vieille gibecière de filet qui lui sert de besace, une médaille d'étain, portant gravées les armes de M. le marquis de la ***, et un grand bâton jaune. Il n'a point de parents pour soutenir ses vieux jours, point de gîte où reposer sa tête grise.
Sa vie est celle du Juif-Errant. Il marche, il marche toujours, ne couchant jamais deux nuits de suite sous le même toit ; partant dès le matin et ne s'arrêtant que lorsque le soleil s'est caché derrière l'horizon. - Mais il n'a pas toujours dans sa poche les cinq sous de la légende, et, au contraire du cordonnier Isaac, il est bon chrétien autant que pas un.
La première fois que nous le rencontrâmes, c'était dans la vaste lande de Renuc, le soleil couchant ne montrait plus que la moitié de son disque derrière les rouges bruyères du bourg de Bains.
Jobin de Guer marchait devant nous à une centaine de pas de distance. Les rayons du soleil, obliques et presque parallèles au plan de la lande, envoyaient son ombre jusqu'à nous. Il allait, arpentant le chemin d'un pas grave et ferme encore. Les profils de sa grande taille que le couchant dessinait en lignes brillamment empourprées, atteignaient, grâce à ce jeu de lumière des proportions presque fantastiques.
Nous étions jeune ; la main d'un ami nous attendait, ouverte, au bout du voyage ; nous rejoignîmes bientôt le pauvre Job, qui était bien vieux, lui, et qui, de quelque côté que se tournât sa course, n'espérait plus toucher, le soir venu, la main d'un frère."
Job-Misère paie son gîte et son couvert en contant des histoires, le soir, au coin du feu. En voici trois entendues par Paul Féval : trois histoires bretonnes dans lesquelles planent le mystère, la trahison, la fidélité et bien sûr... l'âme bretonne.
"Le joli château" - Anne des Iles" - "La femme blanche des marais"
Edouard Corbière (1793-1875)
"Les observateurs qui ont vu d'un oeil curieux s'éloigner du port un navire emportant au loin sur les mers un équipage sortant du cabaret, n'ont pas manqué de raconter, et les adieux du matelot à ses amis, et les baisers effusifs dont il couvre les filles en pleurs qu'il va quitter peut-être pour toujours. Sans doute il y a quelque chose d'étrange dans ce spectacle du capitaine impatient, qui gourmande l'hésitation de ces marins, qui semblent se rattacher à la terre, en prodiguant toutes les marques possibles d'affection aux objets qu'ils abandonnent sur ce rivage qui va disparaître à leurs yeux pénétrés de regret. Mais ce n'est pas au moment du départ que le matelot est l'être le plus intéressant à observer : c'est quand il se sent une fois au large que la plus singulière des métamorphoses qu'il peut subir s'opère dans son individu pour ainsi dire multiple.
La première chose qu'il fait lorsqu'il a bien pris son parti et qu'il a dit adieu à la côte chérie qui va s'évanouir à l'horizon, c'est de changer son costume ; il descend dans le logement de l'équipage, et il ne remontera sur le pont qu'après avoir fait subir à sa toilette le changement le plus complet."
11 contes maritimes :
"Les premiers jours de mer" - "Le Roi-Matelot" - "Petite guerre en mer" - "Le Baron-Rouge" - "Un négrier" - "Folie de bord" - "Le naufragé de la Barboude" - "Un contre-amiral en bonne fortune" - " Petit combat" - "Le novice des aspirants de marine" - "Le forban mon ami".
Edouard Corbière est considéré comme l'un des pères de la littérature maritime.