À quoi peut bien nous servir de nos jours un tel ouvrage, rédigé dans la campagne italienne il y a plus de deux mille ans? Virgile annonce son projet dès l'ouverture de son oeuvre : traiter des techniques et des arts de la res rustica, la matière agricole : travaux des champs, culture de la vigne, élevage et apiculture.
Retraduire aujourd'hui ce poème, c'était découvrir combien ce texte résonne avec nos préoccupations et notre sensibilité contemporaines : fragilité du vivant et des espaces naturels, lien des hommes à la terre, aux végétaux et aux animaux. Célébrer notre obscure condition terrestre dont nous semblons nous éloigner toujours davantage. C'était revenir à la source de ce texte étrange, qui sous prétexte d'agriculture s'ouvre sur une réflexion beaucoup plus vaste sur l'état du monde. Un livre rédigé dans une période trouble et sanglante, et qui en porte les cicatrices. C'était montrer enfin qu'il s'agissait d'un grand poème sur la beauté autant que sur l'instabilité du monde, la guerre, la pensée de la fin des êtres et des choses, la fuite du temps.
«J'ai voulu écrire cette tragédie comme un long poème en prose, sportif, souple et acéré. Bannir le romantisme de la traduction. J'ai voulu m'attacher à l'étrangeté poétique de ce monde perdu, peuplé de morts, et dans lequel les survivants tentent d'échapper à leur destin. Un roi non-roi, persécuté par sa propre souveraineté, des rivaux aussi féroces qu'aimants, un félon incapable d'assumer le régicide, une jeune reine résistante et dont la parole fait basculer le drame dans le non sense, pas si loin de Lewis Carroll.» Frédéric Boyer.