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P.O.L.
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C'est sur un tempo lent, une flânerie sensible mais savante aussi. C'est un prélèvement musardier, aigu encore, comme un herbier d'émotions, d'inclinations et qui coupe l'histoire du saxophone ténor : presque d'un Freeman l'autre (de Bud à Chico) ; plus précisément : de Coleman Hawkins à David Murray ; un éventail de cinquante-trois portraits où le plus chaleureux et neuf du cuivre en Si bémol se trouve présent. Une déambulation (walkin' or strollin') sur cinquante ans où s'intriquent délicatesse et rugosité, styles et styles ajoutés comme des positions amoureuses multipliées, diverses, intransitives que l'écriture accoste, accompagne, courtise et ressaisit absolument. Le ténor, cette tendance secrète, cette pudeur caressante du ténor, vous l'entendez ici. La ballade, la lumière douce dans l'âge entier de l'instrument. Éclairages intimes ; tamisages de proses nettes qui savent si bien balancer, swinguer la mélodie dans le treillis des mots. Ici le ténor est lu au filtre de l'alentissement, l'instrument-roi s'écoute en camaïeu de son essentielle couleur. Blue Notes étirées, embrassées, chuchotées, vous les entendez, à cette propre respiration, tempos lents, pour ténors, pour le coeur du plaisir : car au meilleur faire le jazz comme l'amour appelle l'attention à la peau, sa respiration - la lenteur.
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L'Amérique de Mingus
Didier Levallet, Denis-constant Martin
- P.O.L.
- Birdland
- 1 Janvier 1991
- 9782867441912
Le 20 octobre 1960, Charles Mingus enregistre, en quartette et pour une petite compagnie de disques, Candid, ce que lui-même considère comme la version originale des «Fables of Faubus». À ses côtés : Eric Dolphy, Ted Curson, Dannie Richmond. Les «Fables» ont déjà connu, quelques mois auparavant, une première naissance au disque. Gravées le 5 mai 1959 dans les studios de Columbia mais alors amputées de leur texte, jugé trop virulent par les dirigeants de la firme. Ces paroles, où colère, sarcasme, angoisse se tressent en un chant grinçant, évoquent les agissements ségrégationnistes du gouverneur Orval Faubus qui en 1957 provoquèrent, dans l'Arkansas, les affrontements de Little Rock ? l'un des temps premiers, des temps essentiels de la lutte pour les droits de la population noire aux États-Unis. Cet essai prend exemple sur les «Fables», certainement composées l'année même sous le coup des événements, pour tenter de répondre à la question : «Quel est le sens des sons?», qui pose le problème du rapport entre politique et musique. Didier Levallet et Denis-Constant Martin mettent d'abord en situation l'homme-Mingus, son monde, dans l'histoire et dans l'esthétique. Puis ils s'adonnent à une analyse combinant dans ses approches sémiologie musicale et sociologie, ouvrant ainsi des perspectives neuves à la littérature jazzistique. Exercée sur l'enregistrement canonique de 1960 et, surtout, les cinq versions live de la tournée européenne de 1964 actuellement éditées (Mingus présentait à cette occasion un sextette comprenant, outre Dolphy et Richmond, Johnny Coles, Clifford Jordan et Jaki Byard), la méthode a vocation d'être reprise, appliquée à d'autres moments d'importance de l'histoire du Jazz. Elle s'avère apte à mettre au jour toute la richesse sémantique d'une oeuvre qui, peu ou prou, ne s'en est pas tenue à sa vocation proclamée d'exprimer la révolte. Éclairant leur dynamique de tensions, les contradictions qui les animent, désignant le territoire d'ambiguïté qui les fonde et comme les racines de leur hétérogénéité, elle montre en quoi ces «Fables de Faubus», devenues relance quasi mythique du jazz moderne, symbolisent le rapport complexe au monde blanc et sa culture, à ses valeurs, d'une communauté par lui «négativée», sinon niée.
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Be-Bop est sans doute la première véritable histoire du bop, trente-cinq ans exactement après ce qu'Alain Tercinet désigne comme sa fin symbolique : la mort accidentelle de Clifford Brown, en 1956 - tandis qu'il date sa naissance de la première rencontre entre Parker et Gillepsie, en 1939, à Kansas City. Alain Tercinet met à dégager les temps forts et les logiques de ce courant décisif du jazz toutes les qualités qu'on lui avait internationalement reconnues à l'occasion de son célèbre West Coast Jazz. Car il fallait, pour entreprendre ce travail historique d'envergure, pour mener le grand récit de ces années d'incandescence créatrice, une érudition sans faille ainsi qu'un art éprouvé de la mise en perspective des faits et des personnes. Voici une somme, gorgée d'informations exposées limpidement, une étude qui corrige avec délicatesse bon nombre d'idées reçues et remet à leur juste place des musiciens longtemps tenus pour mineurs.
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Biographie, mais surtout analyse exhaustive de l'oeuvre de Gil Evans par le pianiste-arrangeur qui fut en 1987 - il lui proposa alors la direction de son propre orchestre, le «Big Band Lumière» - l'instigateur de sa dernière tournée européenne, Las Vegas Tango est le livre d'importance attendu sur ce pur écrivain du jazz. Gil Evans a, auprès de Claude Thornhill dans les années quarante, présidé à la naissance de l'arrangement moderne, comme en 1949 à celle du «cool» avec Miles Davis, dont il fut l'inspirateur (d'abord pour les mythiques séances Capitol), souvent le partenaire essentiel, toujours le mentor. C'est avec lui, parfait soliste de ses intentions, qu'il porta de 1957 à 1962 et par quatre albums (Miles Ahead, Porgy and Bess, Sketches of Spain, Quiet Nights) l'esthétique de la grande formation de jazz à son point de perfection. Autodidacte de génie, grand lyrique de la partition puis, à compter des années soixante-dix, initiateur-catalyseur d'un jazz de forme ouverte, Gil Evans était arrangeur. Arrangeur avant tout. C'est lui qui a véritablement éveillé à l'importance de la fonction pour ce que le jazz peut avoir de plus neuf - et de plus risqué. De l'orchestre de Stockton (formé en 1933) aux grandes intempérances électriques dont il s'est fait, pendant les cinq dernières années de sa vie, tous les lundis soirs l'ordonnateur au Sweet Basil, il a traversé un demi-siècle d'un mode d'expression, d'une attitude dans la musique qui l'a reconnu comme l'un de ses acteurs fondamentaux, l'un de ses principaux novateurs. Tous les jazzmen se souciant de forme, d'organisation des voix, d'affinement des interrelations instrumentales par l'écriture autant que d'inventivité, d'originalité dans l'improvisation sont infiniment redevables à ce maître discrètement déterminé, et rieur, mort le 20 mars 1988 à soixante-quinze ans, en pleine force musicale.