"Des filles dorées, des garçons agités longent le rivage.
Aux rires des garçons agités, aux vagues salées
s'entremêlent les cheveux des filles dorées.
Les rires fusent, les vagues se succèdent (elles sont légères),
les pieds impriment le sable (il est humide).
Le vernis des ongles scintille, les corps se frôlent,
les regards se croisent (certains brillent, d'autres fuient)."
à l'extrême de l'écriture de la nuit rien n'arrête, et manquer la cible est un premier pas vers le fond de l'oeil à la fourche de la vie la croisée des certitudes qui se détruisent une phrase décapitée pour que tu sois nue
"n'est qu'un
autoportrait
on s'y est mis à trois"
Avec la collaboration d'Hadrien France-Lanord et Sophie Pailloux-Riggi.
Vols d'oiseaux, mélanges
donc l'air réarrange
tous lieux, chat, verre et
son poids ? Tout pour dire
ma façon d'être autre
ment, si autrement
Quand Stacy Doris fut emportée par la maladie en 2012, elle était l'une des poétesses américaines les plus novatrices de sa génération. Mue est le testament charnel et intrépide qu'elle adresse à son mari et à leurs enfants, saisis dans leur envol, leur premier plumage.
"C'est alors que se pose la question de la naissance
de l'anatomie, c'est-à-dire l'action de couper pour voir."
Jackie Pigeaud
elles guerroient les amazones
dans leurs petites armures peintes
"Il me vint un si fort mouvement d'écrire que je ne pouvais y résister. La violence que je me faisais pour ne le point faire me faisait malade, et m'ôtait la parole. Je fus fort surprise de me trouver de cette sorte, car jamais cela ne m'était arrivé. Ce n'est pas que j'eusse rien de particulier à écrire, je n'avais chose au monde, pas même une idée de quoi que ce soit. C'était un simple instinct, avec une plénitude que je ne pouvais supporter. J'étais comme ces mères, trop pleines de lait, qui souffrent beaucoup. Je déclarai au père La Combe après beaucoup de résistance la disposition où je me trouvais ; il me répondit qu'il avait eu de son côté un fort mouvement de me commander d'écrire, mais qu'à cause que j'étais si languissante, il n'avait osé me l'ordonner. Je lui dis que ma langueur ne venait que de ma résistance, et que je croyais qu'aussitôt que j'écrirais, cela se passerait."
Le père ancien c'est le père
au matin puis le père en fin
c'est le père au début
dans sa vieille mort et puis
après les prières c'est la mort
enfin dans le parler tout autour
et dans le parler il y a aussi
tout autour du fils la mère
dans sa mort moins ancienne
et la visite en moi de la famille
en ses rires et ses ruines.
Fruit de braconnages dans la vie de tout le monde, on peut lire ce livre dans le désordre, le parcourir comme un abattoir où sont débités des morceaux de textes.
Traversée des genres ou extension, ce n'est pas un hasard si "Fonction-Meyerhold", adressé à celui qui paya de sa vie le fait d'avoir été au service du texte se place au coeur du dispositif. C'est lui qui rayonne comme centre des opérations.
Fond d'écran, la ville de Marseille tient lieu de décor en tirage surexposé.
Héroïque travesti, "Oreste pesticide" y redoute de curieuses mouches pornographes. Il mythologise la ville dans son aspect destroy et revisite sur un mode tragi-comique le tabou de la virginité comme les violences policières.
La lettre à Reverdy affronte un sujet souvent passé sous silence : la collaboration avec l'Allemagne nazie de sa protectrice et amie des arts Coco Chanel.
Le scénario "B7 : un attentat attentif" est inséparable de l'année 1946 où Hélène Bessette monte à Notre-Dame de la Garde avant d'accoucher de son deuxième fils.
Pour ce qui est de la fille aux mains coupées, les mains ont été véritablement coupées.
De ce texte théâtral, une véritable opérette avec lyrics, voici ce que dit Valère Novarina : 'C'est une forme acérée, un théâtre acide et en relief : une eau-forte. La pâte théâtrale a disparu : reste le trait, l'élan, la gravure. Par projections, sauts projetés, par passage d'un plan à l'autre, par pointillés, par découpes, le théâtre vient ici se débarrasser du tendre, de la plainte, du partage ému. L'opérette : ossature et forme cruelle du théâtre.' Ou encore : 'Le temps avance par irruption de personnages rythmiques - affublés d'un air animalesque ou trop humain, ils entrent, traînant ritournelles et romances. L'action avance par secousses de l'espace : le public vient voir se percuter des sentiments, s'entrechoquer la vie (...) : pas de personnages mais des vêtements habités. Vêtus de langue, voici des masques, des cavaliers d'anatomies, tournant en cercles, spirales, en figures de quadrilles, carrés, constellations : comme les personnes d'un jeu de carte. Souffrance du Valet de carreau. Joie du 8.
"Nous, les objets, quelques-uns, ce soir, on va sortir de notre silence. On a des choses à vous dire".
Voguer est une série de performances poétiques inspirées entre autres du film Paris is Burning de Jennie Livingston (1991) sur la vie des danseurs du « voguing », à la fin des années 1980. Jeunes, pauvres, homosexuels, noirs et latinos. Leur danse s'inspire des poses des mannequins des magazines féminins (notamment le magazine américain Vogue dans les années 1960, et les défilés de mode), qu'ils reprennent et prolongent à travers des enchaînements chorégraphiques codifiés. Composé en cinq parties, qui sont autant de portraits, le livre explore à sa façon cette danse et ses adeptes avec 5 personnages : Venus, la jeune femme transgenre assassinée dans Paris is burning, Pepper, autre personnage du film, un jeune homme anonyme, mais aussi Pasolini et Kleist. Chacun de ces poèmes-portraits est une prière, un tombeau pour se recueillir. Ce sont aussi de petites célébrations à la mémoire des corps en mouvement, chacun engagé à sa manière dans une lutte.
Le 29 juin de chaque année le passé revient, si rien ne l'arrête il devient une habitude, avec le masque de l'araignée et celui de la stupeur.
Emmanuel Hocquard enseigne régulièrement à l'École des Beaux-Arts de Bordeaux entre 1993 et 2005. Il y donne des « leçons de grammaire » dans un atelier de recherche et de création intitulé d'abord Langage & Écriture puis Procédure, Image, Son, Écriture (P.I.S.E.) en 1999. À partir de 1998, un ou plusieurs volumes photocopiés réunissent chaque année les textes qu'il élabore ou agence en vue de ces cours (à côté de textes d'autres enseignants, de travaux et de correspondances des étudiants, d'extraits de livres et de journaux, de reproductions iconographiques). Ces conducteurs écrits pour les interventions, ces lettres aux étudiants (individuelles et partagées ou collectives), ces textes de création... vont reprendre, développer, réarticuler les notions et les concepts que l'on trouve dans les livres d'Emmanuel Hocquard ; le tout traversé de citations et d'extraits, d'anecdotes, de points de grammaire, de récits personnels... L'ensemble qui s'est constitué là, dont les pièces se sont peu à peu ajoutées mais aussi dupliquées et réagencées sur plusieurs années, dessine une forme entre théorie et approche pragmatique de l'écriture ; une forme en mouvement qui relève à la fois d'une poétique et d'une éthique. C'est cette forme que nous avons tenté de saisir, dans ce livre.
"la honte nous survivra
nos descendants diront
enjambaient des corps
longeaient des familles à terre
pour faire leurs courses
ou des as du contrôle
héros de sf
parleront de l'époque
où l'on s'est mis à s'entrevoir
en mesures de chair
humaine biomasse
sans dessin net
et scruteront les figurants
au drôle d'accent
d'une série z en costumes"
Pierre Alferi.
La nouvelle pièce de Valère Novarina, telle qu'elle sera représentée dans le cadre officiel du Festival d'Avignon 2015.
"C'est pourquoi la question : à quoi sert le langage ? n'a qu'une réponse : À vivre."
Émile Benveniste (cité par Irène Fenoglio)
On dit qu'il faut coucher pour réussir, et dans ce livre on couche beaucoup, on s'étend et on s'endort. Un ermite et son lion organisent jour après jour une courtoise colocation et se donnent du vous, du divertissement, et des ajustements ménagers. Un je furtif se glisse tour à tour dans chaque lit aimé de la littérature et de la peinture, il expérimente promiscuités, gênes et sidérations, et réalise qu'on y est plus souvent allongé mort que vivant. Un nous joyeux se livre à des activités de plein air, rafting, rando, piquenique, caravaning, il fait la sieste et compose des poèmes en short.
"Gens du réel, cessez de vous prendre pour des agents de la réalité ! "
Un homme entre, déroule une cosmogonie de mots qui convoque les brins d'herbe et les supermarchés, les chiffres de hasard et les jeux d'enfant, les pierres et les bêtes, la mort et l'étonnement de naître, de vivre et donc de parler.
Un Chanteur en Perdition enchaîne comptines « comptant pour rien », explore l'antimonde, rivalise en paroles avec L'Ouvrier du Drame, sorte de maître de la créature parlante. Spectacle forain, drôle et terrifiant, de la parole telle qu'elle se déroule chaque jour. L'Homme hors de lui reprend la mise en abîme...
Un père et une mère parlent de leur fille : Alexandrine, seize ans. Ce pourrait être une conversation normale, mais Alexandrine ne l'est pas et il se peut que le couple parental ne l'ait jamais été non plus. Leurs inquiétudes portent essentiellement sur la vie sexuelle future d'Alexandrin... Le dénouement, comme toujours, est un escamotage qui dérobe heureusement à nos yeux les protagonistes de la farce.Mon Père m'a donné un mari reprend, en le caricaturant, l'argument des comédies classiques : des parents prennent en main la vie amoureuse de leur fille. Sauf qu'il ne s'agit plus d'arranger un mariage mais d'organiser un dépucelage. Comme la fille est autiste, elle consent à cette prise en main. Elle autorise même ses parents à assister à sa défloration, conçue comme l'aboutissement spectaculaire de cette pièce.
tu dois jouer pour devenir sérieux celui-là improvise à la fenêtre un enfant bien avisé qui s'amuse avec son pipeau antique c'est un joli jeu solitaire une partie en maniaque
Il était une fois une petite fille nommée Lilou. Non, dit le Docteur ès peur. Il était une fois une vieille dame nommée Lola. Non plus, dit le Docteur ès peur. Il était une fois une vieille petite fille nommée Lola à la recherche de sa soeur jumelle nommée Lilou dans les tiroirs de sa mémoire. Mais non, c'est le contraire, dit le Docteur ès peur. Le père éclata de rire. La mère essuya quelques larmes. La salle à manger changea brutalement de couleur.
DEERHOOF ("sabot de cerf" en anglais) est un groupe de rock "indé" américain créé en 1994 et auteur, à ce jour, de treize albums d'une musique extrêmement originale et captivante, embrassant aussi bien l'art de la mélodie pop que l'expérimentation sonore, le format rock classique ou l'improvisation free en passant par la musique électronique et les « musiques du monde ». Bref, un quatuor qui à chaque nouvel album invente une musique inattendue et fraîche. C'est cette fraîcheur, cette inventivité toujours renouvelées qui ont donné à Frédéric Forte l'envie de prendre Deerhoof comme matière première de son livre. Un livre dont le titre ne pouvait être que Dire ouf - qui est, en français, la manière fautive (le [h] disparaissant) dont le nom du groupe est souvent prononcé.
Fait de formes très différentes distribuées au long de trois parties contrastées, allant de poèmes relativement longs et rigoureusement métrés à d'autres très brefs utilisant les paroles du groupe comme une matière à modeler, en passant par une prose inattendue en contradiction apparente avec les autres modes, Dire ouf vise à démontrer l'imprévisibilité du sujet choisi.
Dire ouf, c'est peut-être cela en fin de compte : essayer de dire une matière (Deerhoof, l'écriture, soi-même) dans ses transformations.
Sous le double regard de Vivian Maier et de Lorine Niedecker le poème est posé sur la table comme une caméra. Il tourne. Des personnages entrent. Des récits s'entremêlent où fiction et document tentent de rendre compte d'une plateforme hybride d'expériences. Ordinaire manière d'organiser le pessimisme en ce début de XXIe siècle.
L'annonce brutale de la mort de Chantal Akerman viendra tout autrement éclairer le décor mis en place et fera ressurgir le titre occulté, celui du premier long métrage de R.W. Fassbinder L'amour est plus froid que la mort.
La forme d'un film repose sur les scènes qui n'ont pas été tournées et qui doublent les autres. Par un simple déplacement, le sujet du lac devient celui de l'amour mort ou plus exactement mis à mort.
Semblable au train, un titre peut en cacher un autre. Et avec lui un réservoir de souvenirs, leur amnésie.
Comment a-t-on survécu à un premier amour ?, serait alors la question.
En neuf photogrammes revisités dans le sublime film de Fassbinder (Héros du livre rejoignant les Dames du Lac) une tentative de réponse est apportée. Sur nous tous, le poème en sait plus long que nous.
Et c'est bien parce qu'il brûle sur un monde dévasté que l'amour est plus froid que le lac.