L'artiste française convoque le mythe de Déméter dans un film épique et sans artifice tourné à La Ciotat, suivi d'un court documentaire autour d'une série de dessins réalisée en Algérie. Le livre qui accompagne le DVD comprend trois textes d'un écrivain-philosophe, d'une galeriste et d'un cinéaste, ainsi que des captures du film et des dessins préparatoires.
« Parce qu'elle est inconsolable, Déméter erre à la recherche de sa fille Perséphone. Éternellement les dieux olympiens festoient et se baignent, Perséphone ne cesse d'être enlevée et les jeunes filles de s'enfuir. Zeus construit les correspondances du temps. À chaque carrefour, des directions se dessinent, des humains se rencontrent, une pensée erratique se construit pour une consolation. » Ce livre / DVD est le deuxième ouvrage de l'artiste Raphaëlle Paupert-Borne édité par Analogues. Rome, Paris, Constantine, publié en 2011, était consacré aux peintures réalisées par l'artiste lors de ses séjours dans ces trois villes. Raphaëlle Paupert-Borne peint, dessine, filme. Elle réalise ici un film heureux tourné à La Ciotat, une comédie antique intitulée L'Abeille de Déméter, suivi d'Alger-Constantine, trace et commentaire d'un carnet de dessin réalisé en Algérie pour l'exposition « Made in Algeria » du Mucem à Marseille, en 2015. Le livre de 96 pages accompagne précieusement le DVD à travers les dessins réalisés en amont et à côté du film L'Abeille de Déméter, et les textes de Vincent Delecroix, Barbara Satre et Jean-François Neplaz. Entretemps, est également paru en 2012 Marguerite et le dragon, un film essentiel et d'une grande force réalisé par Jean Laube et Raphaëlle Paupert-Borne. « Une mère perd sa fille. Ce que Marguerite et le dragon disait, L'Abeille de Déméter le dit encore. Ou plutôt : ne le dit pas, mais cherche à le dire, à le faire dire, à le montrer, à le peindre » écrit aujourd'hui Vincent Delecroix en ouverture de ce nouveau livre. L'Abeille de Déméter « est cet espace d'espace et de temps dans lequel on joue à la vie et à la mort, déguisé en dieux et sans que cela trompe qui que ce soit. » [Vincent Delecroix]. Les peintures, les dessins et les films de Raphaëlle Paupert-Borne ont en commun le cadrage, la scène, l'action tout autant que l'inactivité, le temps perdu ou suspendu, la recherche et l'errance. Peintures, dessins et films sont tout aussi difficiles à circonscrire ou même à raconter, parce qu'il est bien impossible de s'installer dans l'instant. Seuls des auteurs tels que Vincent Delecroix, écrivain et philosophe, Barbara Satre, galeriste, et Jean-François Neplaz, cinéaste et fondateur du Polygone étoilé, pouvaient parvenir aussi généreusement à nous dire autant de cette oeuvre.
Première monographie de Florence Reymond, cet ouvrage sophistiqué, accompagné d'un film de Damien Faure consacré à l'artiste sur DVD, documente une série d'oeuvres récentes, des peintures de paysages aux couleurs et à la gestuelle franches relevant autant de l'abstrait que du figuré, s'inspirant d'un art ornemental universel.
Un petit nombre d'objets revient avec insistance dans les toiles de Florence Reymond.
D'une part, il y a ce qu'on peut appeler les « traits d'enfance ». Ce sont quelquefois des objets, ainsi le Pinocchio qui se dresse dans le polyptyque jaune ; plus souvent, la référence correspond à un mode de faire. Réminiscences des dessins enfantins : un sapin de Noël aux branches relevées à leur extrémité, de vagues plantes grasses aux feuilles évasées, des étendues d'eau ou des morceaux de pré recouverts d'un grillage qui peut être une barrière ; et puis ces bordures décoratives, les lignes droites reprises de bouclettes, exercices d'écriture pour classes maternelles, embryons de cadres décoratifs ou, selon les cas, assises terrestres ou amorces de ciel, dans un langage graphique qui est ou serait puéril.
D'autre part, des suggestions venues d'un ou de plusieurs ailleurs géographiques habitent ces peintures. L'Asie fréquemment, l'Afrique un peu moins souvent, et tel site dans l'est de l'Europe, s'y croisent et s'y mêlent. Aucune volonté d'étrangeté, dans tout cela, et une expérience personnelle réduite à un souvenir visuel et auditif fort, celui de fêtes colorées et bruyantes en Inde. Davantage, le résultat d'une inquiétude dont la trace se décèle dans les conversations qu'on peut avoir avec l'artiste. Que voit-on en effet dans les tableaux ? Une forme pyramidale s'y retrouve régulièrement. Quelquefois, il s'agit d'une montagne : elle a la teinte et la texture de la terre. La montagne peut prendre la couleur du beurre : on songe à ces mottes de graisse, offrandes au dieu ou aux dieux dans les temples bouddhistes ou hindouistes. D'autre fois, des pierres sont empilées les unes sur les autres : c'est aux arrangements de cailloux construits par les marcheurs en l'honneur des esprits des hauteurs que l'on pense. Plus souvent, le bas des montagnes, mottes ou kerns, s'évase en une sorte de bol. On reconnaît un temple, stupa gigantesque ou réplique miniature et de nouveau offrande. Il peut arriver encore que la construction pyramidale soit un grenier : la resserre à grains des pays au sud du Sahara. Dans plusieurs tableaux, ces montagnes, ces temples, ces greniers, s'ornent de tiges dressées, suggestions inavouées de croix ou de suites de fanions : des drapeaux de prières. Dans tous les cas, quoi qu'elle soit ou semble représenter, la forme pyramidale s'affirme chez Reymond comme précieuse et riche d'un sens : l'écrin de la divinité ou de ce qui permet de maintenir la vie ou le sens de la vie. Une manière de demeure ?
Nadeije Laneyrie-Dagen Née en 1971 à Lyon, Florence Reymond vit et travaille à Paris.