Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d'entre nous ?
A mi-chemin de la nouvelle et de la poésie. Mi-prose, mi-vers. Seize courts chapitres et une histoire. Une histoire d'amour, le récit d'une rupture aussi, dans une langue dynamitée qui redonne, suite au travail de sape, de la saveur aux mots.
Jean-Pierre Siméon prête sa voix à un hypothétique sage chinois - Tao Li Fu - qu'il prend plaisir à imaginer à la fois vieux et facétieux... Cela donne cinquante-sept maximes, ici traduites en chinois, et dont certaines sont calligraphiées. Un livre raffiné et malicieux qui réjouira petits et grands.
Le meilleur de la nuit / se prend à pleines lèvres / A corps perdu // A brassées d'herbes et de brumes // Avec les gestes du dénouement / Avec l'oreille du loup. J.-P. S.
Géographies de steppes et de lisières est le premier livre d'Anna Milani publié à Cheyne. Composé de proses brèves, le livre évoque la disparition de celle qui écrit. Ici, les mots rendent la poète aussi transparente qu'une maison qui ne serait plus que fenêtres. Ou l'augmentent jusqu'à ce que la poète devienne paysage.
Poésie de la métamorphose où l'on « désapprend sa peau », où « les récits façonnent un corps plus grand que lui-même », Géographies de steppes et de lisières est un livre étonnant, d'une intense beauté, où « les lieux se déplacent avec celle qui parle », ainsi que l'écrit Albane Gellé dans la préface. Un portrait de la poète en joueuse de flûte de Hamelin, le monde à ses trousses.
Lorsqu'un soleil nous éveille nous sépare ô visiteuse tu écoutes la fable et ma demande de jardin ce corps où l'on s'empare de la belle écriture les ahans le pubis aux plus fins aiguillages.
Les rumeurs sont pareilles à des voitures de course ou à des tempêtes de sable.
Elles se déplacent plus rapidement que les autres paroles.
Chacun promet de ne rien répéter mais personne ne parvient à faire un noeud à sa langue.
Si bien que mon secret à toute vitesse s'est ébruité.
À l'école, tous ont su que j'étais un enfant du placard.
« Je sens n'est pas je sais ».
« Je sens décrit l'autre moitié du monde ».
Ainsi commence Je sens, le nouveau livre d'Ito Naga. L'auteur nous invite ici à quitter les certitudes pour plonger dans la profondeur des intuitions. Nous partons avec lui à la découverte de « l'autre moitié du monde ».
Et pourtant, c'est bien du même monde subtil et précis dont il s'agit, celui de l'auteur de Je sais, ou plus récemment des Petits Vertiges. Là où le scientifique souriait de notre rapport cartésien à ce qui nous entoure, en l'appliquant à l'infiniment petit de nos vies, le poète accepte de plonger en pleine subjectivité. Il laisse libre cours à l'intuition, à l'invisible qui nous façonne, nous guide et nous tient debout.
Je sens ne contredit pas Je sais. Il lui ouvre un vertigineux champ des possibles.
M.N.
Pas besoin d'être grand clerc pour constater que, du monde, de soi et des autres, on ne sait pas grand chose. Il n'empêche. Il en est, biologiste, astrophysicien ou écrivain, qui ne désespèrent pas d'en savoir plus. C'est le cas de l'auteur de ce livre. Sa méthode? Celle du scientifique qui s'apparente à celle du poète ou celle du philosophe: un affût intense qui met en examen tout ce qui tombe sous le regard, l'ordinaire, l'infime, l'incident de préférence. Où se vérifie cette loi heureuse: sous chaque observation, mille énigmes nouvelles. C'est ainsi qu'Ito Naga, sur les traces de Joe Brainard («I remember») et de Pérec («Je me souviens»), mais en déplaçant l'enjeu de l'enquête vers le réel immédiat, propose l'inventaire amusé, imprévu, forcément provisoire, de ces données d'évidence qui présentent le réel pour ce qu'il est: un univers en expansion infinie.
Laetitia Cuvelier évoque dans ce premier livre l'effervescence d'un foyer et la tentative d'être à la fois mère, amante et femme active. Dans la ritournelle du quotidien familial, elle saisit la spontanéité éclatante d'instants de vie, de mots minuscules et de gestes tendres.
Extrait :
J'ai appelé mon garçon.
Pour lui dire.
Au téléphone.
Que ce sera un petit frère.
Il a répondu.
Tu me le passes ?
J'ai un truc à lui dire.
Ce soir je me demande toujours.
Quel est ce truc.
Qu'il avait à lui dire.
Ville tes cafés tes rues au feu vertige qui te prend par la nuque quand le jour se penche pour ramasser rêves sans avis préalable la beauté te tranche tes briques scintillent et vont plus loin que le sang J. D'A.
Les eaux noires glissaient près des campements, si pures sous les arbres des rives. On croyait entendre les guides conter sous les feuillages le récit de la fuite, les étendues amères parcourues chaque nuit, le vent arrachant les manteaux. Premiers jardins croisés au bord des rocs. Des femmes se lavaient. Le souvenir en vient à plusieurs. Un guide, si vieux qu'il pensait avoir reconnu d'anciennes pierres dressées, avait, par les larmes et le chant, avoué son désir.
Les granges abandonnées où nous allions enfants nous regardent encore de l'autre côté de la vallée par les yeux béants de leurs deux portes charretières. Aujourd'hui toujours vides, elles gardent les ombres des murs où l'on se cachait à la fin du jour.
Les derniers ballots de paille oubliés qui nous servaient de sièges attendent dans ce retrait du temps la fin d'une pluie de juillet. J'observe sans me lasser la joubarbe des chéneaux et le filet d'eau continu dans les jointures rouillées des descentes pluviales.
Contre-chant est le huitième livre que Danielle Bassez publie à Cheyne éditeur. Cette nouvelle publication réaffirme la puissance de cette écriture qui interroge la vie avec une fougue, une rage et une justesse rares.
Avec Contre-chant, Danielle Bassez s'impose comme l'une des grandes voix contemporaines.
Récit du vide laissé par la disparition de la personne aimée, Contre-chant est un texte d'une densité et d'une énergie qui à aucun moment ne faiblissent. Confronté à la réalité de sa relation, après la découverte des carnets intimes de la femme aimée qui vient de mourir, le narrateur se trouve obligé de retourner dans l'arène de son amour, de prendre à bras-le-corps, par l'écriture, les souvenirs de ces années passées à deux.
La violence qui se dégage de ces pages est inouïe. La tendresse aussi. Ce qui est livré ici, dans Contre-chant, est l'amour dans sa nudité la plus crue, dans sa complexité, ses contradictions et sa radicale intransigeance.
Elle a commencé par enlever le couvercle et puis tout doucement elle est sortie de son bocal. il animal autant que le chien par terre quand ils se roulent, et alors qu'est-ce qui la gêne ? il et elle savent les souffrances pour sortir de leurs ombres, se désencombrent de leurs peurs, osent quel scandale se servir du mot joie.
À travers les treize poèmes qui composent Demeurer suspendu, Rafael-José Diaz tente d'aller à la rencontre de personnes, de lieux et d'instants désormais étrangers, séparés, disparus. Chacun des poèmes se déploie en une longue phrase dont te souffle sans cesse se noue et se dénoue, enveloppant le présent et le passé.
Nous traversons de nouveau des rues anciennes, des appartements où les lumières sont depuis longtemps éteintes. Et nous assistons à ce miracle, suscité par la poésie même, de retrouver vivantes les ombres, présente une mère « déjà transformée en simples cailloux / proches de l'état de poussière qui n'est pas encore celui du néant ».
Comme le note Lionel Bourg dans sa préface, il y a chez Rafael-José Diaz une justesse et une acuité exceptionnelles qui chargent son expression d'une telle densité émotive qu'elle conduit le lecteur au bord des larmes.
à l'étage une lampe est tombée sur le plancher bossu dans le jardin tout est mort mais les enfants ont tiré un drap par-dessus la table couchée des peluches recousues y dorment bercées par des mains graisseuses
Une anthologie vagabonde où Angélique Ionatos nous invite dans le monde d'Elytis, qu'elle a longuement connu. Ce libre parcours à travers cinquante ans de l'oeuvre du prix Nobel de littérature est servi par une traduction intime et lumineuse.