philippe forest
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Le roman ressemble au théâtre puisqu'ils sont tous les deux pareils à la vie. Le monde entier est une scène, dit Shakespeare, et nous y sommes tous des acteurs. Depuis la nuit des temps, tous les soirs, les mêmes fables se répètent pour le plaisir du public. À tour de rôle, on reconnaît la sienne en n'importe laquelle des histoires qui se jouent sous nos yeux. La morale, amère, en est toujours la même : dépossédé enfin de tout ce qui fut à lui, chacun, au bout du compte, règne seulement sur les chagrins qui lui restent et dont il ne garde que le souvenir, dont il ne conserve que le secret. Mais lorsque les acteurs, sous les sifflets ou sous les applaudissements, se préparent à regagner leurs loges, une image persiste que tout homme peut peindre, s'il le souhaite, lui donnant par exemple l'apparence de cet étang où, parmi les fantômes qui flottent à la surface, il aperçoit les flèches de feu de quelques poissons d'or brillant dans la lumière qui baisse. Les trois coups retentissent. Le silence se fait dans la salle. Le rideau se lève. La scène se situe en Angleterre. L'action se déroule vers le milieu du vieux XX? siècle. Un homme, le plus célèbre des Premiers ministres du Royaume-Uni, pose pour un autre qui le peint. On n'en dira pas plus pour l'instant. Drame ou comédie, le spectacle peut maintenant commencer, qui raconte à chacun le récit de ce qui fit sa vie.
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«J'ai fait de ma fille un être de papier. J'ai tous les soirs transformé mon bureau en théâtre d'encre où se jouaient encore ses aventures inventées. Le point final est posé. J'ai rangé le livre avec les autres. Les mots ne sont plus d'aucun secours. Je fais ce rêve. Au matin, elle m'appelle de sa voix gaie au réveil. Je monte jusqu'à sa chambre. Elle est faible et souriante. Nous disons quelques mots ordinaires. Elle ne peut plus descendre seule l'escalier. Je la prends dans mes bras. Je soulève son corps infiniment léger. Sa main gauche s'accroche à mon épaule, elle glisse autour de moi son bras droit et dans le creux de mon cou je sens la présence tendre de sa tête nue. Me tenant à la rampe, la portant, je l'emmène avec moi. Et une fois encore, vers la vie, nous descendons les marches raides de l'escalier de bois rouge.»
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Sarinagara signifie cependant. Ce mot est le dernier d'un des plus célèbres poèmes de la littérature japonaise. Lorsqu'il l'écrit, Kobayashi Issa vient de perdre son unique enfant : oui, tout est néant, dit-il. Mais mystérieusement, Issa ajoute à son poème ce dernier mot dont il laisse la signification suspendue dans le vide. L'énigme du mot sarinagara est l'objet du roman qui unit trois histoires : celles de Kobayashi Issa (1763-1827), le dernier des grands maîtres dans l'art du haïku, de Natsume Sôseki (1867-1916), l'inventeur du roman japonais moderne, et de Yamahata Yosuke (1917-1966), qui fut le premier à photographier les victimes et les ruines de Nagasaki. Ces trois vies rêvées forment la matière dont un individu peut parfois espérer survivre à l'épreuve de la vérité la plus déchirante. Loin des représentations habituelles du Japon, plus loin encore des discours actuels sur le deuil et sur l'art, dans la plus exacte fidélité à une expérience qui exige cependant d'être exprimée chaque fois de façon différente et nouvelle, le texte de Philippe Forest raconte comment se réalise un rêve d'enfant. Entraînant avec lui le lecteur de Paris à Kyôto puis de Tôkyô à Kôbe, lui faisant traverser le temps de l'existence et celui de l'Histoire, ce roman reconduit le rêveur vers le lieu, singulièrement situé de l'autre côté de la terre, où se tient son souvenir le plus ancien : là où l'oubli abrite étrangement en lui la mémoire vivante du désir.
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Un homme se réveille, convaincu d'avoir égaré un mot dans son sommeil, incapable de se le rappeler. Une idée s'insinue dans son esprit et elle prend bientôt l'allure d'une obsession : son langage se défait, sa vie se vide à mesure que les souvenirs se détachent de lui. Un homme - peut-être le même, peut-être un autre - observe l'océan depuis sa fenêtre. Une brume perpétuelle recouvre l'horizon, au loin il s'imagine distinguer une forme qui lui fait signe et qui l'appelle. L'histoire se dédouble - à moins qu'il s'agisse de deux histoires différentes dont demeure mystérieux le lien qui les unit.
Dans la veine de ses deux précédents romans, Le chat de Schrödinger et Crue, mais en restant fidèle à l'expérience qu'il a posée au principe de tous ses livres depuis L'Enfant éternel et Sarinagara, Philippe Forest propose au lecteur une fable insolite, paradoxale et fascinante qui enseigne, comme l'a écrit un poète, que la nuit recèle en son sein le plaisir et l'oubli, qui sont les deux seuls secrets du bonheur.
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L'université en première ligne ; à l'heure de la dictature numérique
Philippe Forest
- Gallimard
- Tracts
- 24 Septembre 2020
- 9782072928352
«Un système de surveillance généralisée et d'une nature nouvelle est en train d'être mis en place. Et c'est à ce système que le passage au distanciel va soumettre l'Université.»L'Université se retrouve en première ligne du front numérique. En ouvrant la voie à une adoption plus large du «distanciel» dans l'enseignement supérieur, la crise pandémique va accentuer les évolutions profondes déjà engagées dans les apprentissages universitaires et leurs évaluations. Elle met au jour sa vulnérabilité aggravée à l'emprise toujours plus forte des logiques managériales sur un lieu dont la vocation critique consiste pourtant à les tenir à bonne distance. Car le numérique n'est pas une forme vide ; il porte en soi certaines manières de faire et de dire auxquelles, précisément, l'Université ne saurait sans résistance se plier, au nom d'un enseignement libre, incarné et divers - et par là aussi, de son temps. Il y a urgence à agir.
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Marqué par un deuil déjà ancien, un homme décide de revenir dans la ville où il est né et où il a autrefois vécu. Tout a changé. Pourtant, petit à petit, les mêmes fantômes fidèles s'en retournent vers lui sous les apparences étranges et familières qu'ils ont désormais revêtues. Dans le quartier où il s'est installé, de grands travaux sont en cours. Les immeubles en passe d'être démolis voisinent avec les constructions nouvelles. Autour de l'homme qui raconte son histoire, les signes se multiplient. La demeure où il a élu domicile lui semble comme une maison hantée perdue au beau milieu d'un vaste terrain vague. Il y fait la connaissance d'une femme et d'un homme dont il finit par s'imaginer qu'ils détiennent peut-être la clef du mystère qui les entoure. Le roman vécu se transforme alors en une fable fantastique dévoilant le vide où s'en vient verser toute vie et qui en révèle la vérité.
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«Attraper un chat noir dans l'obscurité de la nuit est, dit-on, la chose la plus difficile qui soit. Surtout s'il n'y en a pas. Je veux dire : surtout s'il n'y a pas de chat dans la nuit où l'on cherche. Ainsi parle un vieux proverbe chinois à la paternité incertaine. Du Confucius. Paraît-il. J'aurais plutôt pensé à un moine japonais. Ou bien à un humoriste anglais. Ce qui revient à peu près au même. Je croix comprendre ce que cette phrase signifie. Elle dit que la sagesse consiste à ne pas se mettre en quête de chimères. Que rien n'est plus vain que de partir à la chasse aux fantômes. Qu'il est absurde de prétendre capturer de ses mains un chat quand nul ne saurait discerner, même vaguement, sa forme absente dans l'épaisseur de la nuit.» Schrodinger expliquait la théorie des particules par l'image d'un chat à la fois mort et vivant. S'amusant de ce paradoxe, Philippe Forest nous offre une méditation inspirée sur l'existence.
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Rien n'est dit : moderne après tout
Philippe Forest
- Seuil
- Fiction Et Cie
- 14 Avril 2023
- 9782021515800
L'époque voudrait nous convaincre que la modernité, c'est fini. Qu'il faut en revenir aux canons, et au bon vieux récit, celui qui plaît, celui qui enchante le public. Comme si rien ne s'était passé, précisément, avec ces avant-gardes dont on ne peut pourtant contester qu'elles ont animé le XXe siècle.
Revenant sur l'histoire de la modernité et sur les définitions qui en ont été données, Philippe Forest analyse la façon dont, ces trois dernières décennies, l'idée s'est imposée d'une littérature ayant à se réconcilier avec elle-même afin de se réconcilier avec le monde. Sous couvert d'un plaisir de lecture qui aurait été malmené par des expériences formalistes ou autres, on serait désormais invité à la répétition du même, puisque tout aurait été dit, et excellemment dit. Et si, au contraire, tout restait à dire, sans cesse ?
À contre-courant du bruit journalistique et de l'académisme ambiant, l'auteur nous invite à questionner les conditions de possibilité d'une parole littéraire qui ne renonce pas à l'exigence moderne. Ce questionnement concerne davantage que le strict champ de l'esthétique et emporte avec lui toutes sortes de conséquences - notamment une conception de la culture devenue une chose inessentielle et presque dérisoire. -
Déconstruire, reconstruire : la querelle du woke
Philippe Forest
- Gallimard
- Hors Serie Connaissance
- 9 Mars 2023
- 9782073014054
Depuis peu, les militants de la cause woke défrayent la chronique en raison des actions qu'ils mènent dans les universités pour y interdire toute forme de pensée considérée comme attentatoire aux principes qu'ils défendent. Dans les débats en cours, un point essentiel est passé inaperçu. Avocats et adversaires du wokisme partagent un même mot d'ordre. Il faut, affirment-ils tous, «reconstruire» après avoir «déconstruit». Le projet est le même auquel étrangement souscrivent deux camps que, pourtant, tout distingue. En ce sens, le wokisme et l'antiwokisme se caractérisent pareillement par leur opposition à l'idée de déconstruction. Encore faudrait-il savoir ce que le mot signifie et se donner ainsi une chance de comprendre l'étrange «reconstructionnisme» qui prévaut aujourd'hui et dont la logique conduit fatalement à l'affrontement de deux identitarismes adverses. Car il importe moins, contre l'opinion unanime, de reconstruire enfin ce qui avait été hier déconstruit que de déconstruire encore ce qui prétend se reconstruire aujourd'hui. Selon une leçon que la littérature nous prodigue aussi, essentiellement réfractaire au diktat et aux simplifications d'un certain discours militant.
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« Ils descendaient depuis l'azur, laissant vers le bas grossir la forme de leur fuselage, traçant doucement leur trait au travers des nuages.
Le vrombissement des quatre moteurs, juchés sur le sommet des ailes, enflait, vibrant dans le vide, résonnant jusqu'à terre. Leur ventre touchait enfin la surface de l'eau, projetant à droite et à gauche un panache puissant qui retombait en écume, bousculant tout avec des remous épais qui dérangeaient les barques amarrées et remontaient haut sur le bord des berges. C'était l'été sans doute. Les vacances étaient déjà commencées.
Il avait couché son vélo dans l'herbe toute brûlée par la chaleur du soleil. Peut-être attendait-il allongé sur le sol ou bien se tenait-il assis sur un ponton, les jambes se balançant au-dessus du courant très lent. A perte de vue, le grand ciel bleu du beau temps recouvrait le monde. II regardait descendre vers lui le signe en forme de croix de la carlingue et des ailes. Lorsque l'avion heurtait l'eau, le choc le ralentissait net.
Forant dans le fleuve une tranchée immatérielle, il creusait son sillage entre les rives, rebondissant formidablement d'avant en arrière, basculant sur l'un et puis l'autre de ses flancs, oscillant sur ses deux flotteurs jusqu'à ce qu'il s'arrête enfin : rond avec son ventre vaste comme celui d'une baleine, inexplicable parmi les péniches et les navires de plaisance, immobile comme un paquebot étrange mouillant au beau milieu des terres.».
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Napoléon ; la fin et le commencement
Philippe Forest
- Gallimard
- L'esprit De La Cite
- 12 Novembre 2020
- 9782072849107
Napoléon comparait sa vie à un roman. Il en fut le héros et l'auteur. Seul ce roman nous reste. Depuis deux siècles, il continue à s'écrire sans lui. Et avec lui se perpétue ce « songe immense mais rapide comme la nuit désordonnée qui l'avait enfanté » dont parlent les Mémoires d'OutreTombe. Chateaubriand dit de Napoléon : « Il n'a pas fait la France, la France l'a fait. » Mais peutêtre la France, au fond, Napoléon l'a-t-il faite par sa défaite autant que par ses victoires. Car, outre des institutions et des lois qui existent toujours, le vide qu'il laisse a duré plus longtemps que le monument qu'il avait édifié et dont ne nous demeurent que des vestiges et des symboles. Le soleil qui s'était levé à Austerlitz, écrit Hugo, se couche sur Waterloo. Avec le romancier des Misérables, les plus grands écrivains du passé sont venus visiter la légende obscure et éclatante sous la forme de laquelle, pour notre présent, cette histoire reste encore vivante. Philippe Forest interroge l'aventure de cet homme, et de la France qu'il a faite, au miroir littéraire de l'épopée dont il nous a légué l'impérissable souvenir.
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Aragon s'est beaucoup raconté, en prose et en vers ; il n'a cessé d'appliquer avec virtuosité le principe du "mentir vrai" à sa vie riche déjà de tant d'énigmes et de paradoxes : enfant illégitime à qui le secret de ses origines fut longtemps caché ; antimilitariste décoré de la Grande Guerre puis médaillé de la Résistance ; dandy dadaïste devenu militant discipliné du parti de Staline et de Thorez ; poète surréaliste converti au réalisme socialiste ; homme à femmes - et quelles femmes ! - métamorphosé en chantre de l'amour conjugal, avant de découvrir sur le tard le goût des garçons...
Tous ces personnages différents n'en font qu'un seul dont l'itinéraire littéraire, intellectuel et politique transcrit le génie et le chaos du siècle. Philippe Forest recompose à nouveaux frais le roman somptueux de cette longue existence, avec ses chapitres glorieux et ses pages lugubres. Il révèle le jeu de miroirs par lequel se réfléchissent l'oeuvre et la vie d'un écrivain surdoué à qui aucune des formes de la littérature n'était étrangère.
Et si cette oeuvre continue à nous toucher, alors que cette vie n'en finit pas de nous déconcerter, c'est qu'elle possède une jeunesse, une insolence, une énergie sur lesquelles le temps n'a guère eu de prise. Aragon a été aimé autant que haï, admiré autant que décrié, à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Il ne s'agit dans ces pages ni de l'acquitter ni de le condamner, mais d'en revenir au mystère même de celui dont on a pu dire qu'il avait été sans doute "le dernier des géants de notre temps".
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Beaucoup de jours : d'après Ulysse de James Joyce
Philippe Forest
- Gallimard
- Hors Serie Connaissance
- 13 Janvier 2022
- 9782072941894
L'Ulysse de James Joyce a paru à Paris le 2 février 1922 - date symboliquement choisie par l'auteur car elle était aussi celle de son quarantième anniversaire. On célébrera prochainement le centenaire de ce monument de la littérature mondiale qui, étrangement, semble compter aujourd'hui autant de détracteurs que d'admirateurs. Un roman illisible, dit-on parfois, inutilement compliqué, fastidieusement cérébral, le faux chef-d'oeuvre par excellence... Avec Beaucoup de jours - publié pour la première fois il y a une dizaine d'années -, Philippe Forest prend et gagne le pari de prouver qu'il n'en est rien et démontre avec aisance et clarté qu'il est possible de lire et de donner à lire un pareil ouvrage.Il propose un guide pour ce livre-labyrinthe qu'est Ulysse et, en même temps, un essai très personnel dans lequel le lecteur qui le souhaite retrouvera l'écho de certains des romans de l'auteur de L'enfant éternel, de Sarinagara et du Chat de Schrödinger. Car Ulysse est un grand roman qui, dans ses dernières lignes, fait résonner le splendide «oui» à la vie de son héroïne, un ouvrage toujours aussi actuel qu'essentiel, destiné à tous les lecteurs de bonne volonté et qui offre à chacun la chance d'un formidable rendez-vous avec lui-même.
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«Il paraît que l'amour n'est pas la grande affaire dans l'existence des hommes, qu'ils ne grandissent pas en pensant qu'il y a devant eux cette chose affolante, ce souci d'être à quelqu'un d'autre où se tient tout le sens possible de leur vie. Il paraît que de telles fables sont l'affaire exclusive des femmes. Que ce sont elles seules qui calculent tout de leur temps en raison de l'amour qui viendra. Je ne sais pas. Il me semble que j'ai toujours pensé que l'amour m'attendait, que j'allais à sa rencontre, et que si par malheur je le manquais, j'aurais tout manqué avec lui. Qu'il n'y avait au fond rien d'autre que cela à attendre de la vie. Rien d'autre, oui, si ce n'est l'amour. Et comme l'écrit un poète, tout le reste m'est feuilles mortes.»Philippe Forest raconte l'étrange effervescence amoureuse qui vient à ceux dont l'existence survit au chagrin, et sonde, avec une rare intégrité et intelligence, la naissance d'un nouvel amour.
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La légende raconte comment un mage, autrefois, parvint à consoler un peu l'empereur du chagrin profond où l'avait laissé la mort de la femme qu'il aimait. Dans l'obscurité, il fit apparaître sous ses yeux la silhouette de la belle courtisane disparue. Ainsi naquit l'art du «Pi Ying Xi», auquel, en Occident, nous donnons le nom d'«ombres chinoises» et dont la tradition se perpétue jusqu'à aujourd'hui. Car chacun d'entre nous, dans la nuit où il vit, cherche à retrouver l'ombre de ce qu'il a perdu. Un message mystérieux, parfois, nous met à notre insu sur la piste. Le monde se métamorphose alors en un labyrinthe au sein duquel se multiplient les signes et où tout prend un air étrange de «déjà-vu».Un jour, dans le quartier chinois de la capitale européenne où il s'est installé, un homme reçoit un énigmatique appel à l'aide qui, sans qu'il sache pourquoi, va le conduire à l'autre bout de la planète, du côté de Shanghai, de Nanjing et de Beijing. Dans cette Chine qu'il découvre, qu'il ne connaît pas, qu'il ne comprend pas, tout lui parle pourtant de ce que, jadis, il a lui-même vécu et qui, singulièrement, se met ainsi à exister pour la seconde fois.Sous la forme d'une fable semblable à celles que proposaient ses romans les plus récents - Le chat de Schrödinger ou L'oubli -, Philippe Forest renoue avec l'inspiration de ses premiers livres - L'enfant éternel et surtout Sarinagara - pour lesquels, il y a une vingtaine d'années, il a été salué comme l'un des principaux écrivains français d'aujourd'hui. Entraînant le lecteur vers une Chine rêvée où le présent se mêle au passé, lâchant la proie pour l'ombre - comme le voulait un poète -, il donne une suite à ce long roman de désir et de deuil que compose son oeuvre.
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«Quand vient le temps de se dire au revoir restent les mots-talismans. À l'un ou à l'autre, Pauline murmure : "Je pense à toi toute la nuit !" Puis, l'un ou l'autre lui répond : "Moi aussi, ma chérie, je pense à toi toute la nuit..." Et c'est vrai, la pensée ne disparaît pas quand la conscience s'est assoupie. Elle lui survit et persiste... Au moment d'éteindre la lumière, il s'agit de se promettre encore qu'il n'existera pas de forme d'oubli où puisse s'effacer la présence de qui l'on a vraiment aimé. "Je pense à toi toute la nuit" signifie : la nuit n'est rien de plus que l'un des moments de ma pensée où je te prends (ne crains rien) avec moi. Et si elle dit : "Je pense à toi toute la nuit", j'entends : Aie confiance, aie confiance, aucune nuit n'aura jamais raison de la pensée où tu vis avec moi.»
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éloge de l'aplomb et autres textes sur l'art et la peinture
Philippe Forest
- Gallimard
- Art Et Artistes
- 12 Novembre 2020
- 9782072843389
« Tout a commencé sur un malentendu », c'est ainsi que Philippe Forest ouvre le texte préfaçant ses « textes sur l'art et la peinture », qui vont de Hubert Robert et Hyppolite Flandrin pour le passé, Picasso et Chagall pour le vingtième siècle, jusqu'à Fabrice Hybert et Yayoi Kusama pour le contemporain. Ce sont ses chroniques littéraires dans le magazine d'art contemporain artpress qui ont provoqué des commandes, comme son livre sur Raymond Hains, paru dans la collection « Art et Artistes » chez Gallimard en 2004, et ses articles sur de nombreux artistes, aujourd'hui réunis dans ce livre. Est-ce le reflet du hasard ? Comme le précise Philippe Forest, « une chose en entraine une autre sans qu'on l'ait ni voulu ni prévu. Et chaque nouvelle étude consacrée à l'art que je signais donnait à quelqu'un l'idée de m'en demander encore une ». Bien qu'il se revendique comme un littéraire et qu'il pense que le domaine de l'art appartient d'abord aux artistes et aux historiens de l'art, Philippe Forest ajoute que ces derniers fabriquent également des fictions. « Mais, à côté de celui qu'ils tiennent, un autre discours sur l'art est également possible qui assume explicitement sa dimension subjective et l'ignorance relative sur laquelle il repose. » Ainsi, l'auteur intègre son discours sur les artistes à son oeuvre littéraire et critique puisque tous ses livres entrent en résonnance les uns avec les autres.
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L'écrivain et essayiste P. Forest propose un texte inspiré de l'univers du peintre Rubens et de ses thèmes habituels qui sont le deuil, la disparition ou l'identité.
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« En 1958, commentant le premier roman d'un jeune écrivain, Aragon écrivait dans Les Lettres françaises : « Je n'ai jamais rien demandé à ce que je lis que le vertige : merci à qui me fait me perdre, et il suffit d'une phrase, d'une de ces phrases où la tête part, où c'est une histoire qui vous prend. Aucune règle, ne préside à ce chancellement pour quoi je donnerais tout l'or du monde. » Il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas demander à l'oeuvre d'Aragon. Il y en a beaucoup qu'on ne peut accepter d'elle qu'avec la plus haute prudence. Mais, quant au vertige, il n'est que peu d'écrivains qui aient su le susciter avec tant d'excès et de virtuosité. Il y a, pour parler comme Aragon, un « perdre- pied » propre à cette oeuvre et qui lui confère son mouvement frénétique, l'arrache sans cesse à ce qu'elle est, la sauve en somme d'elle-même. » Romancier et essayiste, Philippe Forest a également contribué à l'édition des oeuvres complètes d'Aragon dans la Pléiade dont le dernier volume paraît cet automne aux éditions Gallimard. Vertige d'Aragon constitue le sixième « épisode » du « feuilleton critique » qu'il publie aux éditions Cécile Defaut sous le titre emprunté à Joyce d'Allaphbed. Il rassemble les textes qu'il a consacrés depuis une vingtaine d'années à l'auteur du Mentir-Vrai.
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«De Raymond Hains, n'importe quel dictionnaire contemporain vous apprendra (et cela ne vous avancera guère) qu'il compte au nombre des artistes français les plus singuliers du siècle tout juste passé et que la formidable longévité de son talent lui permet de prétendre inscrire son nom aux annales nouvelles du siècle qui vient juste de commencer. Le même dictionnaire (ou un autre) vous dira comment, né à Saint-Brieuc en 1926, Hains développe depuis maintenant près de soixante ans une oeuvre unique qui se décline en expositions étranges aux quatre coins du pays et aux deux bouts de la planète. Et si la mémoire paresseuse des encyclopédies retient surtout de lui qu'il fut associé aux grands jours du Nouveau Réalisme, qu'on lui doit de célèbres affiches arrachées renouvelant en leur temps (les années cinquante et soixante) la déjà vieille invention du ready-made, l'essentiel, comme toujours, est probablement ailleurs : dans un long travail déguisé sous les apparences légères d'un jeu et portant sur la texture analogique du monde, travail commencé du côté de la photographie, poursuivi dans la compagnie des peintres et des plasticiens, se développant enfin selon la singularité insolite d'une démarche tellement libre et parfois incongrue qu'elle conduit à reconsidérer - en toute ironie mais avec le plus grand sérieux - le statut et la signification de l'objet d'art au temps de sa reproduction, au temps de sa dissolution.» Philippe Forest.
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Dix ans après, Philippe Forest revient sur l'événement qui fut à l'origine de son premier roman, L'enfant éternel. Le récit d'hier est devenu un essai. Que peuvent signifier dans notre monde aujourd'hui la maladie et la mort d'un enfant ? Le chagrin provoqué par la perte, l'effarement devant la vérité crue et la révolte exigent d'être pensés sans répit. Les mythologies mensongères, le prétendu «travail de deuil», le recours à la religion et à tous ses substituts, la sentimentalité carnassière avec laquelle la société considère la souffrance des enfants forment les questions de fond soulevées dans ce livre. «Tous les enfants, sauf un, grandissent», écrivait James Barrie au début de son Peter Pan. Le premier roman de Philippe Forest citait cette phrase qui donne son titre à l'essai qu'on va lire, car la mort d'une enfant constitue en soi une exception à la règle de la vie.
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Araki enfin ; l'homme qui ne vécut que pour aimer
Philippe Forest
- Gallimard
- 18 Septembre 2008
- 9782070120253
Né en 1940 à Tokyo, Araki Nobuyoshi est désormais universellement reconnu comme l'un des tout premiers artistes du Japon contemporain, comme l'un des principaux photographes d'aujourd'hui.
Le secret du succès planétaire d'Araki n'est pas bien difficile à trouver. Il tient à la formule à laquelle on réduit le plus souvent son oeuvre en ne retenant d'elle que sa capacité à manufacturer de séduisantes images qui satisfont le désir un peu stéréotypé de l'Occident attendant d'un artiste japonais un certain mélange attendu d'érotisme et d'exotisme, de modernité et de tradition. Mais, lorsqu'il atteint de telles proportions, le succès n'est-il pas toujours au prix du contresens, du malentendu ?
Araki a fait lui-même de sa vie une légende. Selon la formule singulière du « watakushi-shôsetsu » (le « roman du Je » japonais), son oeuvre de développe à la façon d'un formidable récit personnel où la prolifération des photographies prises, tout en réfléchissant le monde dans le contexte des fantastiques mutations connues par le Japon contemporain, se rapporte à l'insistante confrontation d'un individu avec une expérience de la perte et de la possession amoureuses dont l'image, iincessamment déclinée, du nu féminin devient l'emblème. Une fiction s'inscrit ainsi chez l'artiste japonais. Afin d'interroger la vérité qu'elle contient, « Araki enfin » se donne comme la fiction de cette fiction.
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Exception telle est la règle en art et en littérature.
Philippe Sollers.
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De l'avant-garde littéraire et théorique, au long d'une histoire qui reste marquée par une longue série de manifestes radicaux, de débats houleux, de contre-attaques et de changements de caps âprement discutés. Elle sera également jalonnée d'exclusions et de démissions retentissantes. Dès 1963, la revue s'enrichit d'une collection de livres avec trois parutions simultanées : un Philippe Sollers, un Denis Roche et La première Éducation sentimentale de Flaubert. À travers Tel Quel, toute l'histoire intellectuelle récente apparaît avec ses lignes de force et ses zones de fracture : nouveau roman, nouvelle critique, nouvelle philosophie ; linguistique et psychanalyse ; structuralisme et maoïsme. C'est ainsi que, parmi ceux qui figurèrent au comité de rédaction de la revue, on peut citer : Philippe Sollers, Jean-Edern Hallier, Jean-René Huguenin, Jean Ricardou, Jean Thibaudeau, Michel Deguy, Marcelin Pleynet, Denis Roche, Jean-Louis Baudry, Jean Pierre Faye, Jacqueline Risset, Julia Kristeva. Et, parmi ceux qui collaborèrent à Tel Quel : Francis Ponge, Roland Barthes, Michel Foucault, Jacques Derrida aussi bien qu'Umberto Eco ou Gérard Genette, Pierre Boulez ou JeanLuc Godard, Bernard-Henri Lévy ou Pierre Guyotat.
Jamais, depuis le surréalisme, une avant-garde littéraire n'avait à ce point rêvé d'une révolution qui serait à la fois poétique, théorique et politique. Durant ces vingt-deux années d'agitation - Tel Quel disparaît en 1982, avec sa quatre-vingt quatorzième livraison - ce mouvement si controversé n'aura cessé de poser une question toujours d'actualité : celle des pouvoirs subversifs de la pensée et de la littérature.