Omniprésent dans les médias et le champ politique, mais aussi dans le langage ordinaire, le terme "bobo" n'est pas neutre. Son usage et ses variantes ("boboïsation", "boboïsé") tendent à simplifier, et donc aussi à masquer, l'hétérogénéité des populations et la complexité des processus affectant les espaces urbains qu'ils prétendent décrire. En réduisant les " bobos " à des caricatures, on juge des caractères, des intentions et des volontés, en oubliant que les représentations et les pratiques des individus et des groupes sociaux prennent place dans des trajectoires singulières et un monde hiérarchisé.
Ainsi, scientifiquement parlant, "les bobos n'existent pas", et les notions de "boboïsation" ou de "boboïsé" ne conviennent pas pour saisir et caractériser la diversité des logiques et des mécanismes, voire, parfois, les contradictions à l'oeuvre dans les phénomènes de "gentrification", marqués par le " retour en ville " des catégories moyennes et supérieures, l'effacement des plus pauvres et le renouvellement des activités et des paysages urbains.
C'est ce que montre cet ouvrage, qui propose un regard historique et sociologique sur le mot "bobo" et ses usages, dans les univers médiatiques, politiques et culturels, comme dans les discours des populations impliquées.
Des enseignes commerciales identiques, la ségrégation sociale et ethnique des quartiers, une pollution grandissante, l'émergence d'une élite internationale navigant d'une "ville globale" à une autre : c'est vers un même modèle que les cités du monde semblent se diriger. Si les raisons de s'inquiéter de cette tendance ne manquent pas, on peut s'interroger sur la réalité d'une figure unique, de standards imposant à terme une uniformité urbaine parfaite.
Car la diversité des architectures, la pesanteur des héritages matériels et immatériels, la particularité persistante des modes de vie, impriment aux villes d'aujourd'hui des formes qui restent extraordinairement variées. Pour comprendre cette diversité, ce livre propose un nouveau modèle d'analyse invitant à s'intéresser aux transferts. Nous savons depuis longtemps que les villes se transforment à la faveur des migrations.
Mais les déplacements d'autres acteurs - administrateurs, universitaires ou experts - font aussi voyager les mots et les choses. Le succès des modèles d'organisation sociale et spatiale qu'ils promeuvent, souvent à travers de grands organismes internationaux, dépend des contextes locaux de réception. Et les habitants - migrants et autochtones - viennent inscrire de façon singulière dans l'espace leurs manières de faire, leurs normes du vivre ensemble et leurs interprétations de labels internationaux.
Eternels réceptacles et fabriques d'inégalités, les villes se conjuguent néanmoins au pluriel, sous des formes hybrides. Ce sont ces dynamiques que ce livre invite à explorer.