Il y a longtemps déjà que les philosophes ont été frappés par l'interdépendance des jeux et de la culture. Roger Caillois fait, pour la première fois, un recensement des sortes de jeux auxquels s'adonnent les hommes. À partir de ce recensement, il élabore une théorie de la civilisation et propose une nouvelle interprétation des différentes cultures, des sociétés primitives aux sociétés contemporaines.
«Mes livres, qui sont très disparates, qui parlent de la guerre, du rêve, de la poésie, des insectes, de la fête, etc. représentent des préoccupations qui peuvent sembler différentes et parfois même incompatibles. Aussi j'ai été frappé de cela et même un peu inquiet. Je n'ai pas voulu les aligner comme dans un échiquier; mais en essayant de trouver ce qu'elles avaient de commun, ce que l'on pourrait nommer le tissu conjonctif ou tissu interstitiel, je me suis aperçu que mes livres créaient également des relations obliques entre eux, de sorte que leurs relations étaient plus complexes que ce que j'avais d'abord imaginé.» Roger Caillois.
Cet ouvrage, méconnu, de Roger Caillois, servi par une incroyable érudition, présente un propos original sur la guerre, et fait tomber quelques idées reçues, notamment sur l'humanisme pacifiant, l'égalité et les droits de l'homme.
La guerre, d'abord limitée, réglée par l'honneurs, et le fait d'une caste guerrière, devient, avec l'apparition de l'État moderne et de la démocratie, le fondement et la préoccupation principale de la vie politique. Pour Caillois, la guerre remplit aussi dans la société mécanisée la même fonction que la fête dans la société primitive : elle exerce la même fascination et « constitue la seule manifestation du sacré que le monde contemporain ait su produire, à la mesure des moyens et des ressources gigantesques dont il dispose ».
Bellone, écrit au début des années 1950, n'est pas seulement une dénonciation de la « guerre totale » et du nazisme, mais montre la pente qui conduit de la démocratie au totalitarisme.
En couverture : Jean-Louis-Ernest Meissonier, Allégorie du Siège de Paris, huile sur toile, 1870, Paris, Musée d'Orsay. © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski.
Voici cinq oeuvres dispersées dans le temps (de 1944 à 1977), mais dont l'évidente unité est celle de l'obscure préparation d'une «poétique généralisée», parallèle de l'«esthétique généralisée» dont Roger Caillois a avancé l'idée en établissant une continuité entre «la turbulence encore secrète» de l'univers inerte et le monde de l'autre turbulence que représente l'imaginaire humain, et particulièrement la poésie. Dans Approches de l'imaginaire, l'auteur avait examiné le phénomène poétique comme un cas particulier de l'imaginaire. Ici, il soumet la poésie française contemporaine à une analyse critique, il en incrimine parfois les postulats dans Les Impostures de la poésie et dans Aventure de la poésie moderne. En même temps, lui qui avait adhéré au surréalisme «pour en finir avec la littérature», il avoue dans ces essais déjà anciens sa méfiance à l'égard de «l'inspiration absolue et incontrôlée», de l'image «in-imaginable». Toutefois, sans se déjuger, il insiste désormais sur l'importance de «l'image juste», «efficace», dans l'Art poétique et Reconnaissance à Saint-John-Perse. Exactitude et surprise, désarroi suivi de fascination, énigme posée en défi et bientôt accueillie comme signe d'intelligence, «occasion de tressaillir et d'admirer» : ces vertus de l'image tiennent à une propriété essentielle de l'univers, que cerne, à partir d'une leçon faite au Collège de France, le Résumé sur la poésie.
Approches de l'imaginaire rassemble certaines études écrites par Roger Caillois entre 1935 et 1950 et non réunies jusqu'à présent en volume. L'ouvrage reprend également trois essais épuisés et devenus introuvables : Procès intellectuel de l'art, Puissances du roman et Description du marxisme.Il est divisé en quatre parties : «L'équivoque surréaliste», «Paradoxe d'une sociologie active», «Sciences infaillibles : sciences suspectes», «Puissances du roman», qui apportent souvent d'autres témoignages sur les mouvements auxquels l'auteur a participé, notamment le groupe surréaliste dont il fut membre de 1932 à 1935 et le Collège de Sociologie qu'il fonda en 1937 avec Georges Bataille. Ces études reliées par des arguments qui en précisent situation et signification s'efforcent, chacune à sa manière, de définir la logique de l'imaginaire. Elles racontent une sorte d'éducation intellectuelle toujours orientée vers un même but : défricher l'univers sensible afin «d'y déceler des corrélations, des réseaux, des carrefours, des régularités, en un mot quelques-unes des réverbérations mystérieuses dont se trouve marqué ou illuminé l'épiderme du monde, depuis les dessins des pierres dans la matière inerte jusqu'aux images des poètes dans le jeu apparemment libre de l'imagination».Cases d'un échiquier (1970) constituait par anticipation le second tome de ces Approches de l'imaginaire. Il correspond à la période 1950-1965. Obliques (1975) a rassemblé les dernières analyses de Roger Caillois, décédé en 1978.
« Je traite les pierres avec déférence, mais en minéraux insensibles qu'elles sont et demeurent. Je tiens les fables pour fables, avec la prudence, l'incertitude et l'incrédulité qu'elles commandent. Plus d'une fois, cependant, il m'est arrivé de penser qu'il convenait aussi de regarder les pierres comme des sortes de poèmes et de chercher en revanche dans les fictions la pérennité des pierres, leur inébranlable signification, c'est-à-dire d'essayer de réunir par quelque biais même ténu les parties disjointes et contrastées de notre indivisible univers » R.C.
La première édition dans la presse :
« Il arrive un moment où la lecture se transforme en quelque chose qui ne la nie pas, mais la complète : la contemplation. Nous le lisons alors comme il lisait les signes gravés sur chaque pierre : comme les échos et les reflets du temps incorporel. » Octavio Paz, Le Monde du 14 mai 1991 « Il m'apparaît à l'évidence que si un écrivain a jamais mérité le nom d'essayiste, c'est bien lui. » Robert Bréchon, Critique n°391 « Pour un peu, je lui en voudrais d'être mort. Mais, de ce monde des pierres et des rêves où il a fini par se fondre, il sait que c'est parce que je l'admirais et parce que je l'aimais. » Jean d'Ormesson, Le Figaro du 23-24 décembre 1978 « Je prends le pari qu'au siècle prochain on se penchera encore sur tel paragraphe parfait de ce veilleur poète, avec le même tremblement ravi que lui-même, quand, lunettes au front, il dévisageait un cristal dans la nuit. » Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde du 8 décembre 1978