Monique Nemer
-
Le moins que l'on puisse dire c'est que Raymond Radiguet (1903-1923) n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, et qu'il n'a guère profité de la notoriété attachée au Diable au corps, l'un des romans français les plus dérangeants du premier XXe siècle. Ni qu'il ait été facile à cet adolescent - l'aîné de sept enfants venu de la banlieue Est de la capitale - de s'imposer, à seize ou dix-sept ans, parmi les écrivains, peintres ou musiciens de la nouvelle génération apparus à la faveur de la Première Guerre. Il est pourtant devenu le familier de Cocteau, de Max Jacob, le commensal de Jean Hugo, Poulenc, Auric, Milhaud, Satie. Il a séduit Aragon, Breton, Picabia, Picasso, Man Ray et tant d'autres avant d'être lancé par Grasset avec un fracas dont les échos ne sont pas encore tout à fait estompés aujourd'hui. Mais les embûches dont il a triomphé et sa mort infiniment pathétique - à vingt ans, de la typhoïde... - ne font pas de Radiguet un auteur dont la destinée attirerait le regard plus que l'oeuvre. Il suffit de le lire, de le suivre dans sa correspondance et dans les Mémoires des contemporains : il y a chez ce jeune homme une densité, une fureur de vivre, une précocité et une maturité de talent éclatantes. Le Diable au corps et Le Bal du comte d'Orgel sont des livres novateurs qui portent une charge subversive dont on n'a guère conscience de nos jours. Quant aux voies empruntées par ce jeune homme pour se construire, elles forcent le respect ou bien font sourire, mais elles révèlent un tempérament peu ordinaire. Non, Raymond Radiguet n'est pas la créature de Cocteau ni celle de Bernard Grasset. N'a-t-il pas, au bout du compte, joué aussi son propre jeu ?A l'approche du centenaire de sa naissance, Monique Nemer lui consacre une biographie définitive à l'aide de nombreux documents inédits avec une science aussi sûre que subtile des réseaux intellectuels et artistiques à Paris autour de 1920. Elle dévoile un Radiguet inconnu, combien plus vigoureux que l'image connue d'enfant-prodige/enfant-roi que ses amis ont, peut-être par frivolité, donnée de lui.Agrégée de lettres, longtemps maître de conférences à l'université de Caen, Monique Nemer est à présent éditrice. Auteur d'articles spécialisés (notamment en littérature comparée), elle signe ici sa première grande biographie littéraire.
-
Corydon citoyen ; essai sur andré gide et l'homosexualité
Monique Nemer
- Gallimard
- 19 Octobre 2006
- 9782070771431
Il y a un paradoxe Corydon. André Gide estimait qu'il n'avait jamais été plus utile au progrès de l'humanité qu'en écrivant ces dialogues socratiques sur la pédérastie. Mais, à ne considérer que ce texte, se risquerait-on aujourd'hui à accompagner le «contemporain capital» dans un tel jugement ? Et pourtant, qui peut nier l'importance de ce geste trop oublié : publier Corydon ? L'essai de Monique Nemer explore la portée et les enjeux de la prise de parole gidienne sur l'homosexualité, non au seul plan de l'histoire littéraire mais à celui, plus large, de l'histoire des mentalités. Quels en furent le contexte, les motivations et les prolongements, publics et privés... et, partant, quelle en fut la radicale singularité ? Avec la publication, en 1924, de Corydon et, en 1926, de Si le grain ne meurt, ses Mémoires, Gide fut bien le premier grand écrivain européen à faire ce qu'il est convenu d'appeler désormais son coming out. Ce que n'ont fait ni Wilde ni Proust, ni Cocteau ni Montherlant. Car Gide, lui, a choisi de dire et de se dire, à la première personne. Et de mettre en jeu sa notoriété et son autorité dans ce qui, plutôt qu'un aveu, était l'énoncé d'un fait qu'il voulait indéniable, au revers de toutes les coalitions assujettissant les homosexuels à une triple obligation de mutisme, d'invisibilité et de négation d'eux-mêmes. Pourquoi a-t-on gardé si peu mémoire de ce combat intellectuel, moral et finalement politique ? Il faut rendre justice à la cause comme à la constance de celui qui la défend : le «droit de cité» pour l'homosexualité, et de citoyenneté pour l'homosexuel.
-
Au prisme du parcours singulier d'Emile Servan-Schreiber, co-fondateur du prestigieux quotidien économique Les Échos, Monique Nemer retrace l'histoire d'une illustre famille française d'origine prussienne et juive qui a profondément marqué le journalisme et la politique du XXe siècle, et a donné naissance à une dynastie de presse.
Émile est un esprit libre, épris des valeurs humanistes et passionné de progrès. Avec les siens, il traversa un demi-siècle de fureur et de barbarie, entre les hécatombes de la Première Guerre mondiale et la menace d'extermination de la seconde, sans se départir de l'insatiable "goût des autres" qui le conduira, dès les années 1930, à parcourir un monde en pleine métamorphose.
À partir de correspondances privées et de notes inédites, mais aussi de ses éditoriaux et essais, l'auteure évoque un homme à la fois attaché aux simples bonheurs familiaux et résolument moderne. Un amoureux de l'écriture, qui n'a cessé de vouloir voir pour savoir, et savoir pour dire.
"Cet homme, durant toute sa vie, sauf au creux de quelques angoisses imposées, est demeuré optimiste, et sa curiosité pour les multiples inventions de son siècle a nourri dans son esprit et dans son coeur une foi insubmersible dans le progrès. Par quoi sa trace, spécialement, méritait d'être restituée, en une période, la nôtre, où prospèrent à l'excès, chez beaucoup, devant l'avenir, le doute et le chagrin." Jean-Noël Jeanneney
-
Femmes mémorables
Josyane Savigneau, Chantal Bigot, Valérie Cadet, Monique Nemer, Collectif
- Bouquins
- La Collection
- 16 Novembre 2023
- 9782382922972
Entreprise monumentale qui a mobilisé plusieurs dizaines de contributeurs, ce volume est une véritable encyclopédie du génie féminin à travers les siècles.
Marta Abba, femme de théâtre, ouvre la marche ; Zouc, sa consoeur, la ferme, voisinant avec la reine Zénobie et Clara Zetkin : indice de la diversité de la longue colonne des " femmes mémorables " (plus d'un millier), objet de ce livre. Outre celles que le récit conventionnel du passé avait retenues - Clotilde, Jeanne d'Arc, Aliénor d'Aquitaine ou Catherine de Médicis - , on y croise des comédiennes, photographes, peintres, écrivaines, scientifiques, danseuses, musiciennes, sportives, cinéastes, journalistes, politiques, des saintes et des meurtrières. Ni une foule ni un peuple ; plutôt des exceptions, dont l'action a, d'une manière ou d'une autre, brisé la répartition traditionnelle des rôles et des espaces sexuels. Leur point commun : elles prétendaient à l'espace public interdit, surtout dans les domaines de la création. Elles ont reculé, voire franchi les limites habituellement imposées aux femmes. Elles sont des passeuses de frontières, des empêcheuses de tourner en rond dans la sempiternelle chorégraphie répétitive de la sphère privée, zone censée du bonheur. Elles ont parfois renoncé à tout concilier dans l'obscurité du quotidien. Elles ont ouvert des chemins de traverse. Elles ont osé. À ce titre, elles sont mémorables. Michelle Perrot