Comment peut-on être boxeur professionnel ? Sociologue initié à l'art de la frappe, Busy Louie nous emmène au pays des pugilistes de l'hyperghetto de Chicago pour y goûter la saveur et la douleur de l'action entre les cordes. Loin des clichés journalistiques et littéraires, il nous fait palper la trame du lancinant labeur quotidien dans le gym, îlot d'ordre et de morale dans un océan de destruction et de dangers ; partager la dévotion des boxeurs au catéchisme du sacri?ce , code de vie ascétique qui régule leur relation au monde profane - nourriture, vie sociale, sexe. Et il nous fait vibrer lors des tournois amateurs et entrer dans les coulisses et l'intimité des matches des galas professionnels.
Maîtriser un art du corps honori?que, s'immerger dans un monde sensuel et moral, ressentir le frisson de l'affrontement sur scène, entrer dans cette communion homoérotique et cependant chaste qu'est le combat, accéder à un grade supérieur de masculinité, et construire un soi glorieux dont attestent la clameur de la foule, l'estime des pairs et l'admiration des proches : tels sont les béné?ces existentiels que le pugilisme garantit à ceux qui s'y adonnent, à défaut de servir de vecteur de promotion économique et d'ascension sociale. Risques physiques et pro?ts symboliques, ce qui ne veut pas dire illusoires ou secondaires, bien au contraire, car l'homme est, foncièrement, un animal spirituel autant que de chair et de sang. Ainsi se résout le mystère de l' homo pugilisticus, pris dans les rets de l'amour doux-amer qu'il voue à son métier.
Textes et photographies de Loïc Wacquant
Récapitulant les trois âges de l'« ethnographie urbaine » née à Chicago il y a un siècle, ce livre met en perspective historique et analytique une controverse sur l'ethnographie des rapports entre race, classe, et moralité dans et autour du ghetto noir américain à l'âge du néolibéralisme triomphant afin d'en tirer des enseignements positifs pour la pensée et la pratique du travail de terrain. L'empirisme irréfléchi, l'acceptation de problématiques préfabriquées par le sens commun ordinaire et politique, la confusion entre catégories indigènes et catégories analytiques, l'enfermement dans le périmètre immédiat de l'interaction, le moralisme clivant, enfin le déficit de réflexivité : autant de pièges que tout ethnographe rencontre tôt ou tard sur son chemin et que seule la vigilance collective peut espérer déjouer. Ce retour épistémologique est aussi l'occasion de pointer le danger de l'ethnographisme, la tendance à vouloir décrire, interpréter et expliquer un phénomène à partir des seuls éléments discernés par le travail de terrain, et d'appeler corrélativement à la pratique d'une ethnographie structurale historicisée qui s'attache à enchâsser les micro-actions observées dans la série emboîtée des espaces sociaux qui les modèlent et leur donnent sens. Une telle ethnographie permet d'éviter de tomber dans l'un ou l'autre des cinq paralogismes de l'observation participante que sont l'interactionnisme, l'inductivisme, le populisme, le présentisme et la dérive herméneutique. Et de dépasser la « thick description » de Clifford Geertz grâce à la « thick construction » inspirée de Pierre Bourdieu, qui se donne pour mission de construire scientifiquement la construction sociale ordinaire de la réalité. Au final, identifier les causes et les raisons de la misère de l'ethnographie de la misère en Amérique, c'est se donner les moyens de la réduire et, ce faisant, contribuer à une meilleure maîtrise de la raison sociologique en action des deux côtés de l'Atlantique.
Les Prisons de la misère est un livre important pour les éditions Raisons d'agir. Paru en 1999, il a été vendu a 20000 exemplaires et a été traduit dans vingt langues. Ce livre et son auteur, professeur à l'université de Berkeley, sont à l'origine d'un débat très intense sur le rôle de l'incarcération aux Etats-Unis et dans le reste du monde. La thèse qu'il soutient est que l'État pénal est en train de prendre la pace de l'État social et que l'emprisonnement devient un moyen massif de répondre à la misère produite par les politiques néo-libérales. Plus généralement, on assiste à un processus d'incubation et d'internationalisation des slogans (" la prison, ça marche "), des soi-disant théories (la " vitre brisée ") et des mesures (telles que le recours accru à l'incarcération, les peines-plancher, les camps de redressement et les couvre-feu pour jeunes) qui composent ce nouveau " sens commun " punitif, conçu pour endiguer la montée de l'inégalité et de la marginalité dans la ville postindustrielle.
Dans cette nouvelle édition, l'auteur revient sur la réception internationale des Prisons de la misère comme révélateur des évolutions pénales dans les sociétés avancées au cours de la décennie passée. Il établit comment la tornade sécuritaire mondiale inspirée par les États-Unis, que le livre détectait en 1999, a continué de faire rage de toutes parts. De fait, elle s'est étendue des pays du Premier monde à ceux du Second monde et elle a transformé les enjeux et les mesures politiques du châtiment pénal à travers la planète de façon que nul n'aurait pu prédire ou même croire possible il y a seulement une quinzaine d'années. L'auteur développe et étend son analyse du rôle des think tanks dans la diffusion de la pénalité " made in USA " à l'Amérique latine. Enfin, il révise le modèle initial du lien entre néolibéralisme et pénalité punitive, révision qui débouche sur l'analyse de la refonte de l'État à l'ère de l'insécurité sociale.
Fouillant le système qui, inventé aux États-Unis, sert de référence à tous les États capitalistes modernes, ce livre commence par démontrer le balancement du social au punitif, puis il analyse la " réforme sociale " comme aboutissement de la misère du social recomposé ; pratiquant l'anatomie de la montée de l'État pénal, et la manière dont il cible le ghetto et les délinquants sexuels, il conclue sur les implications de cette évolution et son ouverture sur l'Europe.
Rompant avec le biais exotisant des discours politique et médiatique, ce livre emmène le lecteur au sein du ghetto de Chicago et d'une cité déshéritée de la banlieue industrielle de Paris. Où l'on découvre que la marginalité urbaine n'est pas partout tissée de la même étoffe. Mêlant observations de terrain, données statistiques et rappels historiques, Loïc Wacquant montre que l'implosion du coeur noir de la métropole étasunienne s'explique par le retrait de l'économie salariale et de l'État-providence favorisé par des politiques publiques de ségrégation et d'abandon urbain. Quant à la prolifération des « quartiers à problèmes » au pourtour des villes européennes, elle n'annonce pas la formation de ghettos à l'américaine, mais traduit la décomposition des territoires ouvriers sous l'effet conjoint de la désindustrialisation, de la précarisation du travail, et du brassage ethnique de populations jusque-là cloisonnées.
Le travail de comparaison souligne le rôle-clef de l'État dans l'articulation des inégali-tés de classe, de lieu et d'origine des deux côtés de l'Atlantique. Elle révèle aussi l'émergence d'un nouveau régime de marginalité nourri par l'instabilité du salariat, le recul de l'État social et la concentration, dans des districts mal famés, de catégories dépourvues d'un langage collectif leur permettant de se forger une identité et des revendications collectives. En éclairant d'un jour nouveau le mélange détonant entre la misère, l'opulence et la violence dans les métropoles du Premier monde, Parias urbains offre des outils précieux pour revigorer le débat public sur les inégalités sociales et la citoyenneté.
L'oeuvre multiple et complexe de Pierre Bourdieu a suscité, de par le monde, de très nombreuses interprétations et interpellations. C'est cet univers de discussions que Loïc Wacquant a reconstitué lors d'un séminaire tenu à l'Université de Chicago en 1987 puis au cours d'échanges serrés avec Pierre Bourdieu entre 1988 et 1991. Invitation à la sociologie réflexive livre les enseignements de ces échanges transatlantiques selon trois modalités complémentaires.Après une première partie exposant l'architecture conceptuelle et thématique des travaux de Pierre Bourdieu, Loïc Wacquant, au cours d'une interrogation méthodique nourrie de la lecture de l'oeuvre et de ses critiques, permet non seulement au sociologue de répondre aux objections qui lui ont été adressées, mais aussi de livrer, plus clairement que jamais, les fondements philosophiques et épistémologiques de sa démarche.
Poussé et porté par cette interrogation, Pierre Bourdieu est conduit à révéler jusqu'aux implications éthiques et civiques de son travail et à réfléchir sur ses effets sociaux.En présentant, dans la troisième partie, le préambule à son séminaire de recherche à l'École des hautes études en sciences sociales, Pierre Bourdieu nous fait entrer dans son atelier, ce laboratoire où s'élabore une oeuvre à laquelle ce livre constitue la meilleure introduction.