« Écoutez-moi ! Je me nomme Pierre Victurien Vergniaud. Je vous parle d'outre-tombe. Je fus traduit le 24 octobre 1793 devant le Tribunal révolutionnaire avec vingt autres députés de la Convention sous l'accusation d'une conspiration imaginaire contre l'unité et l'indivisibilité de la république, la liberté et la sûreté du peuple français ».
On les appelait les Girondins, et bien sûr Vergniaud, l'avocat qui était leur leader charismatique, n'eut pas l'occasion de proférer ces paroles, car au bout de deux séances houleuses qui tournèrent à leur avantage, le tribunal aux ordres de Robespierre décida de les envoyer directement à l'échafaud sans autre forme de procès. Ainsi périrent des élus qui avaient été parmi les premiers artisans de la révolution, mais qui avaient eu le tort de s'opposer à la Terreur.
Michel Laval a retrouvé les notes que Vergniaud a prises en prison pour préparer son procès. Il lui donne ici, enfin, la parole dans un plaidoyer lucide et émouvant qui non seulement récuse les accusations absurdes portées contre les Girondins, mais fait la démonstration politique que le pire ennemi de la révolution fut la minorité extrémiste qui s'afficha comme son seul représentant légitime. Et pose la question : toutes les révolutions sont-elles donc condamnées à finir en bain de sang ?
Il aurait pu s'appeler Itinéraire d'un intellectuel engagé. Arthur Koestler, né dans une famille juive en Hongrie en 1905, a en effet été un lutteur infatigable, défendant la liberté et la démocratie sur tous les fronts avec pour seule arme sa plume : en Palestine au moment des premiers kibboutz, en Espagne pendant la guerre civile, en Russie soviétique pendant la Grande Terreur et les premiers procès de Moscou, à Berlin tandis que monte la peste brune, en France sous Vichy, en Angleterre pendant la guerre, à Jérusalem derechef quand le nouvel État d'Israël naît dans la douleur et l'urgence, à Saint-Germain-des-Prés dans les années 50 avec Sartre, Aron, Beauvoir et les autres.
Ayant commencé son itinéraire politique comme communiste, Koestler est un des premiers à discerner le caractère consubstantiellement liberticide et meurtrier du communisme. Dès 1930, il prend ses distances avec le Komintern, et en 1940, il lui déclare la guerre avec Le Zéro et l'Infini. Ce livre, qui dénonce les procès de Moscou et qui connaîtra un énorme succès mondial, le révèle comme un romancier exceptionnel, à l'égal d'un Malraux. Interné avec d'autres « apatrides suspects » au camp du Vernet, dans les Pyrénées, après la chute de la République, il connaît la faim, la maladie, les brimades et la peur. Cela donnera La Lie de la terre, un livre viscéralement antifasciste. Dès lors, Koestler n'aura de cesse de combattre les deux têtes de l'hydre totalitaire : la rouge et la brune. Essais, pamphlets, discours, romans : toutes les formes de communication lui seront bonnes pour alerter les démocraties occidentales (ou ce qu'il en reste) du danger mortel qu'elles leur font courir. Vilipendé, insulté, calomnié, traîné dans la boue par une meute d'intellectuels épris de l'un ou l'autre totalitarisme, il fera front avec cran et panache jusqu'à la fin de sa vie, heureux que l'Histoire lui ait donné raison, mais désespérant de la nature humaine.
Profondément européen, humaniste et engagé, d'un courage intellectuel et physique inouïs, mais aussi séducteur, querelleur et alcoolique, tel est le Koestler que Michel Laval nous fait découvrir dans cette biographie magistrale qui contient tout le XXe siècle - un siècle de « bruit et de fureur » dont peu d'intellectuels sortirent grandis. Koestler, incontestablement, est l'un d'eux.
Le 1er août 1914, la France décrète la mobilisation générale. Comme trois millions cinq cent mille Français, le lieutenant Charles Péguy reçoit sa feuille de route, embrasse les siens et rejoint son unité, le 276e régiment d´infanterie de réserve, à Coulommiers. Intellectuel engagé, normalien d´origine modeste, chrétien fervent, républicain et dreyfusard, pamphlétaire et poète, Péguy est à la croisée des grandes traditions françaises et incarne plus que tout autre ce qu´on appelle encore le « génie français ». S´il vit ce moment avec un sentiment de plénitude, c´est que s´impose à lui comme à tous le devoir sacré de défendre la patrie, et, à travers elle, un système de valeurs démocratiques issu des Lumières et de la Révolution face à une puissance dont il a, l´un des premiers, compris la menace qu´elle faisait peser sur la vieille Europe. Ce combat unit dans une même détermination, une même exaltation quarante millions de Français, sans distinction d´opinions et de croyances, d´origines et de conditions. La bataille des frontières se solde par une série de terribles défaites. Comme des centaines de milliers de soldats, le lieutenant Charles Péguy et ses hommes doivent marcher jour et nuit pendant quatre semaines sous des pluies battantes ou dans des chaleurs torrides, les pieds en sang dans leurs godillots cloutés, reculant sans cesse devant l´invasion ennemie jusqu´à ce que Joffre donne l´ordre de la grande contre-offensive de la Marne.Charles Péguy ne verra pas cette première victoire. Il meurt le 5 septembre 1914 près de Meaux dans un assaut du 276e face aux mitrailleuses allemandes. Il repose depuis avec plus d´une centaine de ses soldats dans une grande tombe à l´endroit même où ils ont été ensemble « tués à l´ennemi ».Michel Laval, en racontant les trente-cinq derniers jours de la vie de Charles Péguy, entonne un requiem à la gloire de ce vieux peuple français en marche, avant que quatre ans d´une guerre impitoyable et inhumaine ne l´engloutissent dans la boue et le sang et emportent la « grande illusion » d´une « dernière guerre » pour la justice et la paix.