Voici un ouvrage plein de tendresse qui conte avec réalisme la vie compliquée d'enfants âgés d'une douzaine d'années qui sont confrontés à la pauvreté, la maladie et l'amour, à Varsovie en 1910. L'auteur de cet ouvrage, Janusz Korczak, de son vrai nom Henryk Gildszmit, était un grand pédiatre et fut au fondement de célèbres pédagogies éducatives. Il fonda la Maison de l'orphelin en Pologne et lutta pour les droits des enfants. Il mourut en 1942, au camp de déportation de Treblinka avec un groupe d'enfants qu'il n'avait pas voulu abandonner.
Les deux livres de Colonies de vacances, Moski, Joski i Srule, en français Moïchele, Yossele et Sroule et Józki, Jaski i Franki, rendu en français par Youzek,Yanek et Franek, que nous publions ici réunis pour une toute première fois en un seul volume, ont paru d'abord en Pologne en feuilleton en 1909 dans la revue Promyk (Rayon de soleil). Ils ont été inspirés au jeune Henryk Goldszmit, alors encore étudiant en médecine puis pédiatre débutant, par son travail de moniteur dans des centres de vacances d'été organisés par Towarzystwo Kolonii Letnich (Société de Colonies d'Ete), une société philantropique soucieuse d'offrir à des enfants des quartiers pauvres de Varsovie des séjours à la campagne dont il est devenu membre dès 1900. Deux centres ont alors été ouverts à cette fin à proximité de Varsovie, l'un situé à Michalowka, destiné aux enfants juifs défavorisés, l'autre à Wilhelmowka, pour les enfants du prolétariat polonais, les deux communautés, juive et polonaise, disposant à l'époque de structures séparées pour en raison de différences confessionnelles et alimentaires. C'est d'abord à Michalowka, en 1904, que Korczak fit ses premières armes d'éducateur auprès d'un groupe d'enfants juifs, séjour qui lui a inspiré le texte de Moïshele, Yossele et Sroule. Les deux séjours suivants ont eu lieu en 1907 et 1908 à Wilhelmowka, centre de vacances pour de jeunes garçons polonais, et ont abouti au livre dont les petits héros sont porteurs de prénoms polonais typiques : Youzek,Yanek et Franek. Le contact quotidien avec ces enfants juifs et polonais issus des quartiers pauvres de Varsovie a fourni à Korczak un champ d'observations pédagoqiques précieux. Une dizaine d'années plus tard, il dira dans son célèbre,traité Comment aimer un enfant : « Je dois beaucoup aux colonies de vacances. C'est là que j'ai rencontré une collectivité d'enfants ; c'est là que j'ai appris, grâce à mes seuls efforts, l'abécédaire de la pratique éducative » (éd. Robert Laffont). C'est dès 1904, date de son premier engagement comme moniteur au centre de vacances de Michalowka qu'il commence à faire publier dans Izraelita, hebdomadaire juif, organe du milieu progressiste favorable à l'assimilation qui paraissait en polonais, de brefs textes littéraires inspirés de son expérience de moniteuréducateur débutant. Dans un de ces textes intitulé Cykierbobe (bébé-sucre), expression yiddish désigant un fiston à maman ou un petit empoté, répondant aux inquiétudes d'une maman, il écrit :
« Je mes suis fait reprocher (en privé) que les garçons dont je parle dans mes instantanés de colonies ne sont pas assez juifs, que ce ne sont que des enfants à la campagne tout court, pas les enfants juifs.
Remarque apparemment justifiée : j'ai moi-même cherché chez eux au début des traits spécifiquement juifs, mais que faire - je n'en ai pas trouvés. J'ai cherché et j'ai pas trouvé.»
Fatigué de sa vie d'adulte et découragé par les déboires de son métier, le narrateur, instituteur de son état, a la chance de revivre son enfance grâce à la lanterne magique d'un lutin qui, surgissant devant lui un soir de déprime, lui permet de redevenir le jeune garçon qu'il était. Il retrouve donc ses père et mère, son école, ses copains, mais ne perd pas pour autant la conscience du temps présent ni de son rôle d'éducateur et d'élève à la fois.
Les scènes de sa vie d'antan défi lent, comme fixées par une caméra. N'oubliant jamais l'enfant qui demeure en lui, Korczak y introduit de nombreux détails tirés de sa propre vie. Quand je redeviendrai petit, à l'instar de la plupart des ouvrages littéraires de Korczak, reflète sous une forme ludique ses principales idées pédagogiques forgées tout au long de sa pratique d'éducateur et de médecin pour qui observer et comprendre l'enfant revenait d'abord à respecter son droit à être ce qu'il est.
Les Moments pédagogiques regroupent des textes qui mettent en évidence des moments spécifiques dans l'éducation des enfants.
Si le contexte influence l'efficacité de l'enseignement (s'il fait froid dans la classe, si l'enfant a faim, si le bruit, si les remarques de l'enseignant empêchent l'enfant de se concentrer), il existe des moments d'une qualité particulière, qui sont plus efficaces, plus fructueux, plus porteurs pour la démarche pédagogique. La prise systématique de notes, le fait d'adopter une posture d'observateur et l'expérience acquise avec le temps permettent de mettre en lumière la valeur de ces moments et de les inclure dans le processus éducatif.
Les Moments pédagogiques sont des notes prises sur le vif: J. Korczak procède ainsi dans un souci pédagogique vise-vis des éducateurs auxquels il s'adresse, afin de rendre compréhensibles les avantages de la méthode, mais aussi ses difficultés. L'éducateur doit porter un regard d'ethnographe sur le monde des enfants, et la tenue de ce journal pédagogique remplit une double fonction : il assure la mise en mémoire de moments clé dans l'éducation et permet la réflexion, le commentaire, dont la dimension est, aux yeux de J.
Korczak, autant éthique que scientifique. Remi Hess et Kareen Illiade, dans Moment du journal et journal des moments, méditent à la place de cet ouvrage dans le mouvement de la recherche qualitative en éducation.