Léopold Sédar Senghor eut tous les honneurs : premier Africain agrégé de grammaire, poète célébré dans le monde entier, premier président du Sénégal, académicien. Mais il fut également la cible de très nombreuses critiques : il fut en effet accusé d'essentialisme pour avoir inventé la Négritude, d'autoritarisme pour avoir fait emprisonner ses opposants, de complaisance envers la France pour n'avoir jamais rompu avec l'ancienne puissance coloniale. Difficile aujourd'hui de faire un portrait nuancé de Senghor qui affronterait véritablement le bilan politique de cet homme d'État tout en rendant justice à la grande actualité de sa pensée poétique et philosophique. C'est pourtant cette ligne de crête que cette biographie entend emprunter, loin de l'hagiographie, loin des anathèmes.
Tour à tour gloires nationales, héros, pères fondateurs ou au contraire tyrans sanguinaires et sorciers malfaisants, les résistants africains à la colonisation ont souvent connu une grande fortune littéraire et suscitent la fascination collective. D'abord investies par la littérature orale africaine et par l'historiographie coloniale, ces figures émergent souvent au tournant des indépendances et font leur apparition sur la scène culturelle : romans, pièces de théâtre, ballets, films, chants s'attachent à réécrire l'histoire dite nationale des nouveaux États. Interroger les représentations en littérature et dans les arts de ces figures héroïques, c'est donc analyser l'écriture de l'histoire en acte, la mémoire collective et l'imaginaire commun en formation. Notre hypothèse est la suivante : les arts, et la littérature au premier plan, jouent un rôle prépondérant dans la création d'identités collectives. Il s'agit donc de vérifier de manière pragmatique la place du fait littéraire, et plus généralement artistique, dans la formation d'imaginaires collectifs, de lier littérature, histoire, société afin de prouver que la littérature n'est pas qu'un « lieu de mémoire » sanctuarisé. La littérature est alors liée au fait politique, au sens large de construction du vivre-ensemble dans et par les discours.
Comment la littérature figure-t-elle les terroristes ? L'ère du terrorisme global dans laquelle nous sommes entrés a mis en scène de redoutables figures publiques dont le potentiel de fascination reste à interroger.
On pourrait multiplier les exemples d'auteurs issus aussi bien de ce qu'Achille Mbembe appelle la postcolonie que des anciennes puissances coloniales, posant directement la question du terrorisme dans leurs oeuvres. Comment interroger la figure du terroriste dans l'histoire coloniale et postcoloniale ? Quels usages sont faits d'une telle figure ? Pour servir quels états d'urgence ? Comment traite-t-on cette menace absolue, potentiellement dissimulée sous les traits du colonisé ou du migrant, depuis les conquêtes coloniales jusqu'à nos jours ? Le fait-on de la même façon ici et là ?
Parce que la controverse, notamment juridique, sur la définition du terrorisme reste ouverte, et que l'accusation de terrorisme est toujours réversible, la question des modalités de figuration du terroriste est importante. La lecture des textes littéraires est susceptible de nous aider à comprendre ces processus, qui semblent échapper aux définitions traditionnelles du personnage.
Cet ouvrage est consacré aux multiples formes d'énonciation des identités et aux modalités de leur concrétisation en Afrique. Il rassemble dans une même analyse des énoncés de types très différents qui, tous, participent aux constructions identitaires : discours et récits oraux, textes littéraires, journalistiques ou administratifs, objets emblématiques ou encore délimita- tions territoriales. Résolument transdisciplinaire, il retrace le cheminement des identités en Afrique, à travers l'institution imaginaire des territoires, la fabrique textuelle des héros et les usages mémoriels des figures historiques.
Ce faisant, il donne des pistes, invitant à ne négliger aucune approche pour une analyse plus complète des processus de construction identitaire.