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Mourir et puis sauter sur son cheval
David Bosc
- Verdier
- Litterature Francaise
- 7 Janvier 2016
- 9782864328476
Daily Express, septembre 1945 : « Personne ne sait encore pourquoi Sonia A., une artiste espagnole de 23 ans, a chuté mortellement de 80 pieds sur le pavé de Queensway, Bayswater. Hier matin, elle a passé un appel téléphonique depuis l'immeuble.
Quelques minutes plus tard, elle gisait nue et mourante dans la rue. » Sonia cherche à se perdre dans les rues ravagées de Londres, dans la ville rendue à la nuit par le black-out, dans les forêts environnantes, dans les caves à jazz, dans l'emmêlement des corps et dans les méandres de ses propres dessins. Pour- suivant un désir à quoi rien ne saurait répondre, elle amorce un envol qui n'aura pas de fin.
Quand on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l'entrée dans l'âge adulte ne s'est assortie d'aucun harnais, d'aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d'autres murs à quoi se heurter, d'autres insuffisances : la société, bien sûr, la liberté qu'on n'a pas d'y faire ceci, d'y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l'esprit.
Sonia voudrait ne plus avoir de nom, ne plus avoir de langage, ne plus avoir de visage. Elle croit qu'il y a mieux à faire que d'être à son tour une personne et que chacun peut devenir une suite ininterrompue d'événements : par conta- gions et par alliances, en trahissant l'espèce, le genre et la communauté.
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Si on veut, c'est Marseille et on l'appelle Mahashima.
Legudo, ce sont les Goudes.
Et Manosque se dit Manosaka.
Les collines, en tout cas, n'ont pas beaucoup changé.
À Mahashima, longtemps capitale d'un royaume sans importance, Ryoshu mesure son bonheur de vivre heureux dans une ville heureuse.
Un matin, il se met tout de même en marche pour aller revoir, non loin, les paysages de son enfance. En suivant le rivage, en gravissant les collines, il se remémore la période de troubles qui a marqué sa jeunesse, puis ce caprice du pouvoir à l'origine de la plus belle saison qu'on ait connue : le déplacement de la capitale, quand Mahashima fut subitement abandonnée par les puissants.
L'histoire a peut-être lieu dans le futur, mais on y voit des pans entiers de notre époque, des clans guerriers, comme dans le Japon médiéval, et une lumière qu'on avait oubliée.
C'est un monde renversé sans violence, ou presque, et qui retrouve son équilibre en ayant renoncé à durer toujours. -
L'homme qui venait de franchir la frontière, ce 23 juillet 1873, était un homme mort et la police n'en savait rien. Mort aux menaces, aux chantages, aux manigances. Un homme mort qui allait faire l'amour avant huit jours.
En exil en Suisse, Gustave Courbet s'est adonné aux plus grands plaisirs de sa vie : il a peint, il a fait la noce, il s'est baigné dans les rivières et dans les lacs. On s'émerveille de la liberté de ce corps dont le sillage dénoue les ruelles du bourg, de ce gros ventre qui ouvre lentement les eaux, les vallons, les bois.
Quand il peignait, Courbet plongeait son visage dans la nature, les yeux, les lèvres, le nez, les deux mains, au risque de s'égarer, au risque surtout d'être ébloui, soulevé, délivré de lui-même.
De quel secret rayonnent les années à La Tour-de-Peilz, sur le bord du Léman, ces quatre années que les spécialistes expédient d'ordinaire en deux phrases sévères : Courbet ne peint plus rien de bon et se tue à force de boire ?
Ce secret, éprouvé au feu de la Commune de Paris, c'est la joie contagieuse de l'homme qui se gouverne lui-même.
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Un enfant intouchable auquel, en 1201, on fait l'infamant cadeau de la liberté (car personne n'en veut, à cette heure, et le mot lui-même ne fait rêver que les fous). Frédéric de Hohenstaufen a huit ans, il court les rues de Palerme, ville arabo-normande :
On y aimait tant les différences qu'on en inventait quand, faute de vent, il en venait moins.
Honoré Mirabel, valet de ferme à Saint-Jean-du- Désert, affabule la découverte d'un trésor. Après avoir échappé au tremblement de terre de 1708, à Manosque, puis à la grande peste de 1720, il veut éprouver s'il est possible d'échapper aussi à sa condition - et de jouir, comme il imagine que d'autres le font, du passage du temps.
« Moi, j'ai toujours été pour l'égalité », dit Miguel Samper, un maçon d'Arganda, et il part. C'est l'été de 1936. Il va s'enrôler à Madrid et rejoint le front du côté de Tolède. En permission à Valence, il ouvre les yeux sur la crapulerie des appareils et déserte. Mais il garde au coeur l'idée qu'il faut se battre pour les copains, pour le matin du monde.
À Marseille, le 31 décembre 2002, un petit groupe d'anarchistes en habits de pirates se lance à l'abor- dage d'un bateau-restaurant. La nuit venue, ils gagneront les collines pour donner un feu d'arti- fice aux détenus de la prison des Baumettes. Denis, qui les accompagne sans être vraiment des leurs, qui aime les fraternités de rébellion mais veut demeurer sans aveu, prend par la main Mathilde et l'arrache à sa meute, à sa communauté.
Enfants de rois, de paysans ou de bourgeois, les personnages de ces quatre récits ont ouvert sur le monde des yeux de premier homme : l'ordre des choses, ils entendent l'éprouver, en restant sourds aux « vérités éternelles ». Ce sont alors des assauts et des ruses, des solidarités intempestives et de soudains dégagements. Liberté, égalité, fraternité :
Les vieilles lunes sont décrochées avec tout le décor, et les voici qui se rallument, fragiles, toutes neuves, à hauteur de regard, sur le visage de n'importe qui.