« Connais-toi toi-même » : tel est un des oracles rendus, dans l'ancienne Grèce, par la pythie de Delphes, un des rares à nous avoir été transmis et qui nous apprend, à tout le moins, que l'étude de soi, comme exigence intellectuelle, est une ambition qui n'a pas d'âge.
Mais si l'autobiographie semble un phénomène humain si ancien que son origine est mythique, elle n'est entrée de plein droit dans la littérature que depuis deux cents ans. La Publication, en 1782 et 1789, des Confessions de Jean-Jacques Rousseau a ouvert une tradition littéraire nombreuse.
Le présent ouvrage veut arracher le genre à sa fausse évidence - il n'est pas si simple de se raconter - et préciser ses caractéristiques dans plusieurs directions :
- Formellement : définir avec exigence l'autobiographie comme un genre qui demande la réunion de nombreux éléments ; et en même temps, observer que, dans ses rapports avec le roman et les autres formes de littérature personnelle, l'identification de l'autobiographie comme un genre littéraire pose de nombreux problèmes.
- Historiquement : suivre ce genre dans les infléchissements successifs que différents auteurs (et plus généralement différentes époques) lui ont donnés. L'autobiographie montrera sa dépendance par rapport à l'évolution des représentations de la vie de la personne humaine et de sa place dans la société.
Définition du genre, description de la vision de l'existence et du monde qu'il véhicule, histoire du genre : pour mener à bien cette triple ambition, on soumettra ici l'autobiographie à un observation d'ensemble, mais on s'arrêtera aussi, précisément, à l'étude des réalisations particulières les plus notables qui l'ont illustrée.
Cet ouvrage reprend deux questions sur les mémoires, dont l'idée est bien établie dans notre imaginaire culturel. Y a-t-il une continuité historique et une unité pensable de ce que nous appelons mémoires, qui pourrait se cristalliser dans la notion de « genre » ? Peut-on dégager un cadre théorique pour penser ce corpus multiforme et presque insaisissable et, en particulier, envisager dans une perspective théorique ses relations à la fois fascinantes et problématiques avec la littérature, la fiction ou l'histoire ?
Les noms de Mmes de Charrière, Cottin, de Duras, Gay, de Genlis, de Graffigny, Guizot, de Krüdener, de Montolieu, Riccoboni, de Souza, de Tencin (donnés ici dans l'ordre impersonnel de l'alphabet), romancières réputées en leur temps, ont difficilement passé les années : dès le milieu du XIXe siècle, ils n'ont plus été retenus que des érudits qu'intéressaient l'histoire de la littérature ou l'histoire du roman, l'histoire des femmes aussi.
Quant à la notoriété qui a toujours entouré les noms de Mme de Staël et de George Sand, elle s'est souvent plus occupée d'aspects de leur biographie, construits et chéris comme des stéréotypes, que de leur oeuvre de romancières. Le fait est, pourtant, qu'au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe, les romans écrits et publiés par des femmes occupent la scène littéraire d'une manière qui les met suffisamment en valeur pour que les lecteurs reconnaissent en eux une tradition, celle des « romans de femmes ».
L'unité de l'appellation collective suggère la présence dans ces textes d'un maniement spécifique du langage romanesque, avec des traits récurrents (modèles d'intrigues, constantes thématiques, normes du discours moral). Par jeu de reprises et de variations, cet ensemble d'éléments créerait des conventions et ainsi déterminerait un genre (notion que le mot de tradition revient à dire par euphémisme).
C'est à la rencontre d'un tel contenu objectivable que le présent ouvrage veut se risquer : existe-t-il ? Le discours critique doit-il valider l'idée qu'il y eut, au XVIIIe et au XIXe siècles, une tradition des romans de femmes ?
INDIANA. Dans Histoire de ma vie George Sand présente ainsi Indiana : "C'est mon premier roman ; je l'ai fait sans aucun plan, sans aucune théorie d'art ou de philosophie dans l'esprit." Première oeuvre signée "George Sand", Indiana est l'acte de naissance de l'écrivain mais aussi un roman fondateur. S'y invente une sorte de "nouveau roman" expérimental, à mi-ch emin entre réalisme et idéalisme. C'est à ce titre que Indiana fut saluée par la critique comme une oeuvre novatrice : "Le stylede ce livre est neuf comme l'idée" (Félix Pyat). VALENTINE. Une histoire d'amour contrariée par la barrière sociale dans un cadre rustique et aristocratique à la fois : avec Valentine, George Sand, encore débutante dans le roman, a m is au point la formule romanesque que ses éditeurs tiendront pour magique, lui demandant toujours d'en reprendre les ingrédients dans la suite de sa carrière. On est donc, avec ce roman où Sand invente la "Vallée Noire" (le Berry de son enfance élu comme espace de fiction), au coeur de la création de l'auteur.