Le Manuscrit
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Il venait vers moi lorsque cette ivresse de sons avait déserté les heures de l'aube, sans accuser le moindre épuisement. Souvent, nous commentions la nuit, pour délibérément préférer nous lover dans la profondeur du silence. De quel genre d'amour nous étions-nous toqués ? Sa présence à elle seule semblait combler l'immense dépeuplement de mon coeur. Je n'osais lui poser les questions qui néanmoins me brûlaient les lèvres, alors nous nous en tenions là. Suivre la trajectoire qui s'offrait, éloquente comme l'inévitable force de la destinée. L'étreinte de la nuit abolissait les requêtes suspendues. L'intensité de l'echo de notre envol essouflait les ambiguités de cet exil. Notre trahison venait du ciel qui commençait à blanchir, indiquant ainsi l'heure dèja avancée.
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Un blanc voilage avait soudainement alangui le Pays d'Auge. L'évanouissement des symboles familiers du paysage sous l'épaisse pellicule laiteuse avait engourdi ses sens. Le ciel s'amusait à réinventer l'allégorie de la terre, à déguiser les verts pâturages en blanches étendues. Les cultures ankylosées de l'intrusion soudaine de ces envois celestes, souffraient dans un silence plus pénétrant qu'à l'accoutumée. La luminosité ambiante redéfinissait les contours des vallons, taisant la pétulance des manoirs dissimulés. Les composantes du terroir hibernaient, docilement tapies, en l'attente de meilleurs auspices qui ne tarderaient pas à arriver.
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Ici sera tourné le prochain épisode de ma vie se dit-elle. L'embrun humidifie ses joues. Elle s'approche du parapet. L'oscillation attise l'écume dont la mousse vient enguirlander la roche noire. Galia figée là, était frappée d'immobilisme comme ces visiteurs fauchés dans l'élan de la promenade.
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Une rencontre troublante entre deux êtres persuadés de vivre des retrouvailles. Le hasard les comble dans un premier temps pour mieux leur révéler que ce qui semble une évidence de bonheur est tout son contraire. La course poursuite de leur destin nous amène à traverser différents pays d'Europe, à s'impliquer dans une passion si inexplicable qu'elle frise la folie. La finalité est de percevoir où conduisent les destins.
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Il plongea à nouveau, songeant qu'il appartenait à cet aquarium, à ses silences non dénués d'expression, et qu'il ne connaissait pas meilleure exaltation en ce lieu. Chaque instant dévoilait la surprise d'une rencontre, attisant sa curiosité toujours grandissante. L'évasion était telle qu'aucune autre pensée n'osa l'aborder.Une murène se faufila entre la rocaille, tandis qu'une bande de brochets aux nageoires caudales le frôla.Ce lieu appartenait aux plus beaux silences que la terre peut offrir.
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Ils prirent la route des collines et le taxi s'immobilisa. La ville saluait le monde de ses illuminations nocturnes. Coupoles et flèches des cathédrales évoquaient l'oeuvre, la continuité, l'effort. Cet enchantement ne réussit cependant pas à rectifier l'ordre troublé de sa pensée. A présent il savait, et aussi clairement, il avait condamné leur histoire. Une sorte d'impuissance face au poids d'une énergie amoureuse constante la fit outrepasser sa volonté. Elle pleura par petites saccades. Elle pleura devant ce brouillard qu'était sa vie, cette incompréhension superbe qui flottait autour des rapports humains, elle pleura de rage et de fatigue face à la lignée des ponts de Prague qui scintillaient dans l'enjambée des rives de la Vltava.
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L'auteur a voulu parler des siens, ceux qu'elle a connus, et ceux que seules, les photos évoquent. Tenter de décrire ce que l'existence lui a permis d'apercevoir, ce que sa mémoire a pu restituer. Ces instants de vie transmis par une image, une voix, un visage, s'égrainent ainsi, sous forme de récit. Ce livre ne tient pas compte d'une chronologie, c'est un portrait, un assemblage de gravures toutes antérieures aux symboles de l'envolée technologique. Elles parlent de ce monde dissolu par le progrès, elles évoquent la sève nourricière de ces vies disparues, sans nul autre désir que celui de prendre leur place à la postérité, innocentes épitaphes sur des pages tombales.
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En 1540, sur l'île d'Hispaniola, bien après le naufrage de la Santa Maria de Christophe Colomb, le peuple Taïnos contraint aux travaux forcés par l'envahisseur, tente malgré tout de survivre. Quelques familles résistent dont celle de la jeune Taïna. Pour sa survie, elle devra affronter l'ennemi juré, entrevoir la réalité quotidienne des coloniaux d'Hispaniola. L'auteur évoque la confrontation de deux mondes : D'un côté, le pacifisme et le raffinement de la civilisation Taïnos, de l'autre, l'empressement d'un envahisseur aveugle, assoiffé de conquêtes.
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Le mot, je ne l'attends jamais longtemps. Je l'aperçois à distance, rôdeur aguerri, qui finalement se pose comme un papillon, ou bien apparition fragile telle une vision médiumnique tombée du ciel, étrange cette relation-là, mais jamais décevante. Les confidences épistolaires de Mathieu Delfeu, auteur quadragénaire en quête d'éditeur. Tantôt drôle, tantôt cynique, il campe son autoportrait, et de dérisions en coup d'oeil acerbe sur le monde de l'édition, il entraîne le lecteur dans l'antichambre de l'écriture.