« Il n'y a rien de mieux que les bars à moitié vides, les soirs sans chiffre. Le client de gauche se détache sur la grande baie vitrée avec tout son poids de malheur. Il est malheureux parce qu'il attend une fille fabuleuse, une longue fille très belle qui viendra s'accouder comme un ange ou une grande blessure. Vous n'attendez rien. Le bac des verres palpite comme un bassin de truites dans une vieille montagne. Des représentants d'épaules passent sans rêves. La serveuse allume une cigarette parce que l'amour n'existe pas. Les femmes les plus obstinées, celles qui ont cru pouvoir vous ramener dans le monde, ont renoncé. Vous êtes dans un état proche du bonheur.»
L'oeuvre reproduite page 85 est d'André du Colombier.
"Au seuil de ce livre si surprenant, si inouï, si jamais vu, si jamais lu, je devrais, pour rendre un peu de ma surprise et de ma jubilation, écrire à l'envers ou en lettres de sang et d'un mètre de haut, ou encore y aller d'un croquis à sa manière, énigmatique et dérisoire dans sa cavalière simplicité. Voici la description d'une "communauté" appelée à former, en rase campagne, une "Nouvelle Leipzig". Mais qui sont ces Garagistes et cet Obsédé qui la fondent ? Quels sont ces épouses, ces espions aux masques de corbeau, ces gardiens, ces naïades, ces anges, ces cafards, ces "abeilles en short", qui les entourent ? Quels sont cette bibliothèque végétale, ces clepsydres, ces baraquements ? Quelle est la raison d'être de tout cela ?
Avec la logique implacable et tranquille du rêve et d'un doigt de sinistre esprit bureautique genre SS à Auschwitz, voici le monde vu dans un prisme ou un miroir anamorphique, la tête en bas, par le petit bout d'une lorgnette ou le gros bout d'un télescope ou le cul d'une petite bouteille : le cauchemar est en effet ici souvent miniaturisé.
L'impression la plus forte, dans ce grand texte, reste qu'il semble surgi de nulle part, comme un formidable OVNI littéraire."
Dominique Noguez
photo: Pierre Ferbos ©éditions Flammarion
« Je ne supporte plus les mous. Les mous attirent les coups. On imagine les sons flasques dans les chairs... Quoi qu'il en soit, sur l'enveloppe de la lettre, il y avait une flamme tricolore. La Présidente m'avait donc répondu. » À cinquante ans, Jean Valmore, enseignant désabusé et écrivain de romans noirs non publiés, bascule progressivement dans la folie meurtrière. Il « tire » sur tout et tout le monde : un monde envahi par la mollesse et la médiocrité, les femmes, l'enseignement, les étrangers. À travers ce personnage, Pierre Mérot met en scène la noirceur qui hante nos sociétés séduites par l'extrémisme et gagnées par le mépris et la haine de l'autre. Avec la férocité et l'humour qu'on lui connaît, il nous tend ainsi le miroir terrible de ce que l'on se refuse souvent à voir.
« Je rêve d'un livre qui ne finirait pas. Parfois, je n'arrive pas à abandonner un chapitre. J'ajoute une virgule. Je change un mot. Juste pour être encore avec lui. Comme on reste encore un instant parmi les hommes. Dans leur vie. Dans leur chaleur. Comme on embrasse sans fin une femme sur un quai de gare. Il y a des chapitres qui sont de petites tombes illuminées, vivantes et affectueuses. On s'y sent bien. On voudrait y rester toujours. Quand je fais l'amour avec Oblomova, quand je repose sur son ventre, quand tout est accompli, elle me prie de rester encore. Elle voudrait me tenir dans ses bras jusqu'à la fin des temps. Tu crois que les hommes s'entretuent parce qu'ils savent qu'ils vont mourir ? »
Un éditeur fou ordonne à un auteur de quarante-quatre ans d'écrire un roman réaliste pour la rentrée littéraire. Mais à quoi bon raconter la vie d'un modeste prof au lycée Waterloo, incapable d'aimer la sublime Oblomova ? Pierre Mérot n'en fait qu'à sa tête dans cette épopée moderne, fuite jubilatoire dans l'alcool et l'amour idéal, l'humour et la littérature.