Plus que jamais, l'œuvre d’Emily Dickinson nous est proche. Plus que jamais, celle-ci nous intrigue et nous questionne. La découvrir ou la redécouvrir, nous en apporte bien des preuves. Car, écrire, selon la poétesse, ce serait faire exister en Soi la Ferveur.
Parmi les quelque mille sept cent poèmes qu'a légués Emily Dickinson à la postérité, plusieurs centaines traitent indirectement ou directement du sentiment amoureux et dessinent la trajectoire de vie d'une amante incessante et inquiète. Le décor de toutes ces amours, explicites ou allusives, fut probablement limité aux parois d'un cerveau et aux quatre murs d'une maison de famille. La poétesse vécut un peu plus d'un demi-siècle de célibat, même si elle entretint avec plusieurs hommes, mentors littéraires mais aussi amants impossibles, une abondante correspondance. Emily imagine un ou plusieurs hommes à l'horizon de ses désirs inassouvis, mais « la porte de chair impatiente » ne s'est peut-être jamais entrouverte devant ses pas.
Emily Dickinson aurait pu ne jamais être pour nous qu'un nom étranger. Celui d'une femme, américaine, moins connue pour son talent littéraire que pour avoir passé la majeure partie de sa vie confinée chez elle. Puisqu'elle s'était toujours farouchement refusée à voir ses écrits publiés, rares sont ceux qui savaient, de son vivant (1830-1886), qu'Emily était aussi une formidable poète. Peu avant son décès, elle demande à sa soeur Lavinia de brûler tous ses papiers personnels. Mais lorsque cette dernière découvre dans sa chambre des centaines de poèmes renversant de beauté, griffonnés sur des morceaux d'enveloppes ou d'emballages, elle est à la fois sidérée et incapable de lui obéir. Jusqu'où la volonté des morts peut-elle changer l'existence des vivants ? Ne pas les suivre, est-ce les trahir ? Et si les mots pouvaient faire revivre les disparus - et celles et ceux qui leur survivent ? Lavinia choisit la vie. Et décide de confier ces poèmes à deux femmes autrement endeuillées, d'abord sa belle-soeur, Susan, épouse de son frère, puis Mabel, maîtresse de ce dernier, pour qu'elles l'aident à les faire publier. Une ultime complice leur prêtera main-forte : Millicent, fille de Mabel, qui grâce à sa malice se révélera la plus juste lectrice de la « dame en blanc ». Tour à tour on les suit, Lavinia, Susan, Mabel et Millicent, dans une narration où surgit par endroits le je de l'auteure se joignant à elle pour les accompagner.
Dans ce roman profond et envoûtant, Dominique Fortier prolonge la vie d'Emily Dickinson en racontant la grande aventure qui mènera ces héroïnes anonymes à faire paraître ses poèmes pour la première fois. Texte lumineux sur le deuil, l'absence, la poésie, le pouvoir des mots et l'importance de la littérature, Les ombres blanches nous fait assister à la naissance d'une oeuvre qui aurait pu ne jamais voir le jour, et à la renaissance de trois femmes. On le lit comme on observe, au printemps, le retour de la vie. Ou comme on lit la poésie d'Emily Dickinson : avec bonheur et ravissement.
Que dire, si ce n'est que ces 40 pages sont pure merveille. Polenakis se met dans la peau d'Emily Dickinson et il en ressort la quintessence de la poésie de celle-ci, profondeur du vertige, sensibilité exacerbée, sensualité, beauté.
Qui était Emily Dickinson ? Plus d'un siècle après sa mort, on ne sait encore presque rien d'elle. Son histoire se lit en creux : née en 1830 dans le Massachusetts, morte en 1886 dans la même maison, elle ne s'est jamais mariée, n'a pas eu d'enfants, a passé ses dernières années cloîtrée dans sa chambre. Elle y a écrit des centaines de poèmes - qu'elle a toujours refusé de publier. Elle est aujourd'hui considérée comme l'une des figures les plus importantes de la littérature mondiale.
À partir des lieux où elle vécut, Dominique Fortier a imaginé sa vie, une existence essentiellement intérieure, peuplée de fantômes familiers, de livres, et des poèmes quelle traçait comme autant de voyages invisibles. Elle la suit et tisse une réflexion d'une profonde justesse sur la liberté, le pouvoir de la création, les lieux que nous habitons et qui nous habitent en retour. Une traversée d'une grâce et d'une beauté éblouissantes.
Le Vésuve à la maison est un recueil de poésies choisies d'Emily. Dickinson en version bilingue. Il fait partie de TRANS_, la collection de poésie de Tango Girafe invitant au voyage initiatique.
Au-delà de l'anthologie classique, cet ouvrage propose par la progression du lecteur à travers les textes, l'accès à un cheminement intérieur, à une voix dans la voix : les poèmes se lisent presque comme des chapitres, à la manière d'une épopée.
Le Vésuve à la maison nous fait (re)découvrir la poésie d'Emily Dickinson à travers une géographie singulière, plus minérale, volcanique, presque méditerranéenne.
A travers une nouvelle traduction, l'ouvrage fait état d'un désir fort :
Suivre pas-à-pas les mots de la poétesse, à travers son souffle, ses silences, son rythme, et de tenter le partage d'une intimité.
«Derrière la porte fermée à clé de sa chambre, Emily écrit des textes dont la grâce saccadée n'a d'égale que celle des proses cristallines de Rimbaud. Comme une couturière céleste, elle regroupe ses poèmes par paquets de vingt, puis elle les coud et les rassemble en cahiers qu'elle enterre dans un tiroir. Disparaître est un mieux. À la même époque où elle revêt sa robe blanche, Rimbaud, avec la négligence furieuse de la jeunesse, abandonne son livre féerique dans la cave d'un imprimeur et fuit vers l'Orient hébété. Sous le soleil clouté d'Arabie et dans la chambre interdite d'Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté travaillent à se faire oublier.» Christian Bobin.
Voici ma lettre au Monde.
Qui ne M'a jamais écrit - Les simples Nouvelles que la Nature disait - Avec une tendre Majesté.
Emily Dickinson.
Emily Dickinson (1830-1886) passe sa vie à Amherst, dans la propriété familiale.Tombe amoureuse d'un révérend, qui s'enfuit. Elle écrit des poèmes, ne sait pas ce qu'ils valent (ou fait semblant), prend pour maître un gandin célèbre, Thomas Wentworth Higginson dont la bêtise - un siècle a passé - irradie comme un soleil. Les années filant, elle sort de moins en moins, signe ses lettres « Votre Élève », écrit encore quelques vers, s'intéresse à tout ce qui meurt.
Quand elle commence à écrire aux soeurs Norcross, en 1859, Louise a seize ans, Frances treize. Vingt ans plus tard, elles n'ont pas grandi, sont pour Emily les mêmes petites filles imaginaires. Loo a toujours seize ans, Fanny treize. « Je souhaite que nous soyons enfants, écrit-elle à son frère. Je souhaite que nous soyons toujours enfants, comment grandir, je ne sais pas. ».
La partie de la Correspondance ici traduite - Lettres à T.W. Higginson et aux soeurs Norcross - n'a pu l'être que grâce au remarquable appareil critique de l'édition américaine Harvard University Press. Les poèmes que l'on trouvera en seconde partie de volume parlent d'eux-mêmes.
Patrick Reumaux
« Faut-il comprendre la poésie d'Emily Dickinson ? » Par l'audace d'une telle interrogation, Pascal Aquien avait posé d'emblée à la poésie de Dickinson la question qui traverse ce livre, en établissant avec force l'évidence obscure de cette poésie, comme s'approchant de celle du monde. Il signalait, d'entrée de jeu, le danger qui menace l'herméneute, affronté à l'épreuve de l'inexpliqué, au poids de non-sens du poème, qui exige pourtant d'être lu à la lettre. On trouvera ici des lectures qui se sont nourries d'une longue fréquentation poétique. On fera profit de très belles « explications de texte » qui sont autant d'approches du sens. Surtout, chacun se trouvera relancé dans sa lecture personnelle, fortifié et démuni, invité à reprendre la tâche, à refaire ces parcours afin d'en découvrir d'autres. En vue de nouveaux et précaires « arrangements » du sens et de ses éclipses.
La vie et l'oeuvre d'Emily Dickinson (1830-1886) - sans conteste la plume poétique la plus originale de l'histoire littéraire aux Etats-Unis - a suscité d'innombrables commentaires et analyses savantes. Fascinés par le caractère énigmatique de sa vie recluse dans la petite ville d'Amherst (Massachusetts), ou par la sophistication intellectuelle et artistique de son écriture, les exégètes ont tenté de percer le mystère de cette oeuvre à nulle autre pareille. Pourtant, aucune de ces études ne possède l'originalité exceptionnelle de ce livre, qui revendique ouvertement une relation singulière entre deux écrivains : My Emily Dickinson, par Susan Howe. Loin de vouloir élucider une quelconque « énigme Dickinson », l'auteur s'attache au contraire à en épaissir la complexité, tissant un réseau de références littéraires et historiques à partir des textes de Dickinson (poèmes et correspondance), son propre style se laissant peu à peu envahir par la bien plus radicale « énigme de l'écriture ». Essai poétique d'une grande densité, informé par une connaissance intime de la littérature angloaméricaine en général et de l'histoire de la Nouvelle-Angleterre en particulier, My Emily Dickinson est un livre unique à plusieurs égards. Son auteur s'y livre en quelque sorte à une « anatomie » d'Emily Dickinson. Le texte de Susan Howe est criblé de citations qui dessinent progressivement la constellation littéraire, et plus largement textuelle et intellectuelle, dans laquelle l'oeuvre de Dickinson prend place. Comme l'écrit Howe à la fin de la première partie de son essai :
« Usant d'exagérations, d'abréviations, de distorsions, d'amplifications, de soustractions, d'énigmes, d'interrogations, de récritures, [Dickinson] tira des textes d'autres textes. » C'est en poète que Susan Howe cartographie cette oeuvre saturée de références littéraires, donnant ainsi à lire au miroir sa propre trajectoire d'écrivain, établissant à travers son illustre prédécesseur sa propre généalogie.
Nous partons virtuellement pour le Massachusetts et voyageons réellement en Russie - à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Kazan, à Samara, à Koktebel, à Yalta. Ce septième volume est consacré à deux poétesses majeures : une Américaine du XIXe siècle et une Russe de la première partie du XXe siècle.
Emily Dickinson et Marina Tsvetaieva n'ont apparemment pas grand-chose en commun. La première reste recluse chez elle, à Amherst, dans la vallée du Connecticut, tandis que la seconde, née à Moscou, étudie à Nervi, Lausanne et Paris ; contemporaine de la révolution d'Octobre, elle séjourne à plusieurs reprises en Crimée, avant de s'exiler en 1922 à Berlin, puis en Tchécoslovaquie et en banlieue parisienne. En 1939, elle retourne en Union soviétique où elle se suicide deux ans plus tard.
À travers les vies héroïques de ces deux femmes, le livre évoque deux aventures littéraires qui ont survécu à l'indifférence, à l'hostilité, voire à la censure. Femmes, elles ont refusé de se plier aux convenances et aux procédés du genre poétique, faisant preuve d'une inspiration existentielle à la fois féminine et universelle. Formellement, rythmiquement, métaphoriquement, elles ont bousculé l'ordre littéraire pour imposer un art poétique nouveau.
Ni Dickinson ni Tsvetaieva n'ont douté de leur postérité, convaincues que leur oeuvre, surgie du plus profond de leur être, entrerait un jour dans la grande histoire de la poésie moderne.
Emily Dickinson (1830-1886) n'est pas seulement l'un des plus grands poètes américains : c'est aussi un personnage mythique. Toujours vêtue de blanc, cette femme mystérieuse, à l'âge de trente ans, se mura à jamais dans la demeure familiale d'Amherst, son village natal, en Nouvelle-Angleterre, et passa le reste de sa vie à contempler le monde depuis sa fenêtre. Lorsqu'un ami lui rendait visite, il lui arrivait même de refuser de sortir de sa chambre pour l'honorer de sa présence.
Celle que ses proches surnommaient la "poétesse à demi fêlée" ou la "reine recluse" n'avait qu'une obsession : écrire - elle a laissé des milliers de lettres et de poèmes. Ironie de l'histoire : sur les deux mille poèmes ou presque que nous lui connaissons, six seulement furent publiés de son vivant. Les autres ne furent découverts qu'à sa mort. L'oeuvre poétique complète d'Emily Dickinson était jusqu'à présent inédite en France : cette traduction par Françoise Delphy, fondée sur l'édition définitive des poèmes de Dickinson publiée aux Etats-Unis en 1999, entend donner à découvrir au public français, en version intégrale et bilingue, la poésie de cet écrivain hors du commun.
Notre connaissance d'emily dickinson (1830-1886) demeure encore aujourd'hui fragmentaire, car elle repose sur des choix de poèmes.
De tels choix, même s'ils se veulent aussi représentatifs que possible, risquent à la longue de brouiller la réalité profonde du poète. une autre démarche, face à la diversité des approches consiste à laisser émerger, comme d'elle-même, sa figure unique. d'oú le souci de présenter ici au moins la partie la plus essentielle de son oeuvre, par la traduction de la quasi intégralité des poèmes des années 1861, 1862 et 1863, années-phares, période d'explosion poétique et de créativité intense.
Les textes figurent dans l'ordre oú emily dickinson les a elle-même transcrits dans ses " cahiers cousus ". l'ouvrage vise ainsi à la fois à restituer le tissu interstitiel de la poésie et une architecture altérée par des éditions successives. " oses-tu voir une âme en incandescence ? ". emily dickinson lance un défi à ses lecteurs. tout est en effet vécu par elle dans la fulgurance de l'instant ou dans la simultanéité des émotions.
Son art tient précisément dans l'effort pour porter le temps à l'incandescence, n'en retenir que l'absence blanche, les instants oú il se nie lui-même ou explose pour se changer en éternité. c'est donc un autre mode de lecture que proposent les cahiers. ils invitent à saisir la poésie dans l'abrupt et non dans l'horizontalité du temps, à renoncer aux catégories habituelles de l'intellect, à traverser l'écorce de la chose poétique pour se rapprocher du feu central.
C. m.
Emily dickinson a vingt-huit ans lorsqu'elle décide de s'adonner entièrement - sinon publiquement - à sa vocation de poète apparue pendant son adolescence, si l'on en croit les lettres écrites huit ans plus tôt à ses amies.
à l'une en particulier, elle parle de son attirance pour ce qu'elle ne nomme pas mais perçoit d'emblée comme une force rivale de la religion, la poésie : " j'ai osé accomplir des choses étranges - des choses hardies, sans demander l'avis de personne - j'ai écouté de beaux tentateurs... ". qui est cette jeune femme mystérieusement préparée à un rôle auquel elle sacrifie bientôt la normalité de l'existence, vivant de plus en plus retranchée de la société, consacrant tout le temps que lui laisse sa participation aux tâches familiales - celles d'une grande maisonnée bourgeoise - à délivrer le chant qui l'habite ? qui considérera de plus en plus la poésie comme le seul instrument de salut, la seule arme pour lutter contre les tourments et la finitude de la vie, le seul espoir sûr d'éternité face à celui, beaucoup plus hypothétique à ses yeux, de l'au-delà ? sont rassemblés ici des poèmes, de jeunesse comme de la maturité, qui complètent parfaitement l'autre ensemble poétique majeur : une âme en incandescence.
Il y a toujours chez emily dickinson, à quelque période que ce soit, des fulgurances, des poèmes se détachant brusquement des autres, des pics vertigineux parmi des montagnes plus modestes ou même des collines. et elle est capable de passer d'un instant à l'autre de la dépression à l'exaltation et réciproquement.
Claire Malroux a rassemblé en un seul volume les correspondances féminines et masculines publiées il y a quelques années. Ces correspondances ont un point commun : elles ont poussé Emily Dickinson à forger une prose aussi incandescente que sa poésie, à créer une forme littéraire sans équivalent. Un entrelacement de prose haussée au niveau de la poésie, et de poésie, tantôt ramenée presque au niveau de la prose, tantôt culminant en fulgurations ou éblouissantes condensations. On pourrait parler de texte-Centaure, ou plutôt de texte-Pégase, dont le corps de prose-cheval battrait au rythme d'ailes de poésie.Lettres de haut vol, donc, gardant intacte, au travers d'émotions contradictoires ou de surprenants messages, la force du secret d'où procède toute l'oeuvre. "Une lettre me donne toujours l'impression de l'immortalité parce qu'elle est l'esprit seul sans ami corporel. Tributaire dans la parole de l'attitude et de l'accent, il semble y avoir dans la pensée une force spectrale qui marche seule - Je voudrais vous remercier de votre grande bonté mais n'essaie jamais de soulever les mots qui m'échappent." (Emily Dickinson, Lettre à Thomas W. Higginson) Plus qu'aucune autre correspondance, peut-être, celle de Emily Dickinson est une oeuvre de création, un terrain littéraire ou dramatique où le poète est à la recherche d'un moi à la fois réel et fictif, plus authentique que le moi perçu par le société. Un dialogue entre soi et soi, devant un tiers privilégié, plus proche que le public inconnu auquel s'adressent en dernier ressort les poèmes. Emily se sent de plain-pied avec les femmes, et sans doute même a-t-elle conscience de la supériorité que lui confère son génie d'artiste. Elle peut partager avec elles à demi-mot certains sentiments, certaines aspirations, s'abandonner aussi, non sans ironie, au bavardage à propos de la vie quotidienne, se défouler de la tension à laquelle la soumet son activité de poète. (C.M.)