Inspirée par la condition ouvrière, la littérature, depuis la fin du XIXe siècle, nous a offert des textes, romans ou témoignages, souvent empreints d’une grande dignité. Le monde du travail, dans ses évolutions les plus déshumanisées, continue aujourd’hui à inspirer le roman contemporain.
Alors qu'il pédale comme un dératé dans les rues de Lille pour livrer toujours plus de repas chauds, le narrateur de Client mystère est percuté par une voiture. S'il sort de l'accident sain et sauf (avec un bras mal en point), il se retrouve néanmoins «indisponibilisé» par les algorithmes de l'application pour laquelle il travaillait. Et donc, sans ressources.C'est alors qu'il entend parler d'un métier curieux:les «clients mystères», des particuliers mandatés par les entreprises pour jouer aux clients afin d'évaluer les performances des employés à leur insu. Notre héros devient donc l'un de ces hommes invisibles à la solde du management contemporain.Client mystère dépeint avec tension et vivacité le monde du travail au temps de l'ubérisation:dictature de l'algorithme, culte de l'efficacité, déshumanisation progressive des interactions sociales, consumérisme débridé... autant de thématiques explorées dans ce roman, récit d'un passage à l'ennemi - avec toutes les conséquences que cela peut entraîner.
Erwan est ouvrier dans un abattoir près d'Angers. Il travaille aux frigos, au rythme des carcasses qui s'entrechoquent sur les rails. Une vie à la chaîne parmi tant d'autres, vouées à alimenter la grande distribution en barquettes et brochettes. Répétition des tâches, des gestes et des discussions, cadence qui ne cesse d'accélérer... Pour échapper à son quotidien, Erwan songe à sa jeunesse, passée dans un lotissement en périphérie de la ville, à son histoire d'amour avec Laëtitia, saisonnière à l'abattoir, mais aussi à ses angoisses. Qui le conduiront à commettre l'irréparable.
L'Etabli, ce titre désigne d'abord les quelques centaines de militants intellectuels qui, à partir de 1967, s'embauchaient, " s'établissaient " dans les usines ou les docks. Celui qui parle ici a passé une année, comme 0. S. 2, dans l'usine Citroën de la porte de Choisy. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression, il raconte aussi la résistance et la grève. Il raconte ce que c'est, pour un Français ou un immigré, d'être ouvrier dans une grande entreprise parisienne. Mais L'Etabli, c'est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières ou bosselées avant qu'elles passent au montage. Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que les hommes entretiennent entre eux par l'intermédiaire des objets : ce que Marx appelait les rapports de production.
«Au fil des heures et des jours le besoin d'écrire s'incruste tenace comme une arête dans la gorge Non le glauque de l'usine Mais sa paradoxale beauté».
Ouvrier intérimaire, Joseph embauche jour après jour dans les usines de poissons et les abattoirs bretons. Le bruit, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps s'accumulent inéluctablement comme le travail à la ligne. Ce qui le sauve, ce sont l'amour et les souvenirs de son autre vie, baignée de culture et de littérature.
Par la magie d'une écriture drôle, coléreuse, fraternelle, l'existence ouvrière devient alors une odyssée où Ulysse combat des carcasses de boeuf et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes.
Du début des années 1970 à la fin des années 1980, Narval travaille aux Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. Ce temps restera celui de sa jeunesse et de la construction de son identité ouvrière. Quand se répand le bruit de la fermeture des Chantiers pour des raisons économiques, ses camarades et lui entrent en lutte, sans cesser de pratiquer leur métier avec la même application, tandis que l'amiante empoisonne lentement leur corps.
Dans un subtil mélange de lyrisme et de sobriété, Christian Astolfi compose la chronique d'une existence qui traverse l'évolution politique et sociale de la France de l'époque, tout en révélant les désirs et les peines d'un homme habité par les rêves d'un père qui aura voué sa vie à ce monde emporté.
Un des livres les plus beaux inspiré par la condition ouvrière. Travaux, paru au lendemain de la guerre, en 1945, est tout de suite devenu un classique. Les critiques ont comparé Georges Navel à Gorki, à Panaït Istrati, à Eugène Dabit, à Charles-Louis Philippe. Mais Navel fait entendre une voix qui n'appartient qu'à lui. Comme l'a écrit Jean Giono:«Cette patiente recherche du bonheur qui est la nôtre, nous la voyons ici exprimée avec une bonne foi tranquille.»
« Après avoir fait la mine, marqué une hésitation, Michel m'embaucha pour les foins. Vingt francs par jour, non nourri. Je me récriai, mais il pouvait, dit-il, trouver avec la crise des tas de types en bas qui seraient contents de travailler pour le prix qu'il m'offrait. Avec dix francs en poche et les difficultés que j'avais connues en bas je n'avais pas le choix, j'acceptai. » « En faisant les foins », « L'usine », « Chantier en montagne », « Peinture en bâtiment », « Matin de vendanges », « Les cerises », « Retour à l'usine »... Dix chapitres de l'une des grandes oeuvres de la littérature prolétarienne : Travaux.
Debout-payé est le roman d'Ossiri, étudiant ivoirien devenu vigile après avoir atterri sans papiers à Paris en 1990. C'est un chant en l'honneur d'une famille, d'une mère et de la communauté africaine avec ses travers, ses souffrances et ses différences. C'est l'histoire politique d'un immigré et de son regard sur notre pays, à travers l'évolution du métier de vigile, de la Françafrique jusqu'à l'après 11-Septembre. C'est enfin le recueil des choses vues et entendues par l'auteur lorsqu'il travaillait au Camaïeu de Bastille et au Sephora des Champs-Élysées.
Une satire à la fibre sociale et au regard aigu sur les dérives du monde marchand contemporain.
« Debout-payé est une de ces imprévisibles pépites que chacun voudrait être le premier à découvrir. » Marguerite Baux, Elle.
« Une écriture nouvelle et audacieuse, à la fois abrupte et ciselée, acerbe et chaleureuse. » Christine Legrand, La Croix.
Mariant la sensibilité la plus fine aux traces documentaires les plus brutes, Martine Sonnet croise mémoire collective et souvenirs familiaux dans un hommage à toute une génération d'ouvriers, celle de son père, artisan campagnard précipité dans la classe ouvrière par son embauche chez Renault à Billancourt dans les années 1950. Aux forges, atelier 62, réputé le plus dur de la Régie, le charron-forgeron-tonnelier normand asservit sa carrure et sa puissance à l'industrie automobile triomphante.
Avec un superbe talent d'écriture, Michelle Perrot fait revivre la bouleversante destinée d'une inconnue : Lucie Baud (1870-1913), ouvrière en soie du Dauphiné, rebelle et meneuse de grèves. Elle renoue les fils d'une histoire pleine de bruits et d'ombre, énigmatique et mélancolique. Mélancolie d'un mouvement ouvrier qui échoue - les grèves menées par Lucie se solderont par des échecs -, d'une femme acculée peut-être au suicide - elle se tire trois balles dans la mâchoire en 1906 -, de l'historienne enfin, confrontée à l'opacité des sources et à l'incertitude des interprétations.
Thierry Metz, manoeuvre mais aussi écrivain et poète, a consacré ses heures de liberté à l'écriture. En 1990, pendant six mois, alors qu'il travaillait à la réhabilitation d'une usine, il a consigné sa vie quotidienne au coeur de ce Journal d'un manoeuvre, d'une poésie brute, splendide, émouvante.
Sortie d'usine : le moment même de la sortie, la débauche, cette bousculade.
Mais aussi la sortie définitive : la mort, au quotidien de l'usine, ou l'accident, la mutilation. Ou parce qu'on envoie un jour sa lettre de démission, sur un coup de tête, longtemps retardé : et qu'une fois parti se révèle la peur, que jusque dans les rêves persiste la peur de la machine, de l'usine-maison, de l'enfermement dans un temps figé, déchu.
Sortie d'usine - roman, parce que la fiction qui veut conjurer cette peur, si elle inscrit des figures prises à l'usine, en est déjà isolée : comme ces aperçus qu'on en saisit de la rue, par un portail ouvert.
Écrire est le fruit d'une lutte. À l'origine il y a le besoin de s'exprimer constamment contrarié par les transports, les bruits d'atelier, les impératifs du rendement. Il y a les mots qui s'accumulent, gangrènent dans la mémoire. Il y a les fantasmes qui empoisonnent et deviennent indissociables des sensations. Et tout, sous le poids des pressions, s'agrège, subit des métamorphoses jusqu'à ce que la pensée atteigne le seuil de l'incompressible. (...) Au plan de l'écriture, il s'agit d'une naissance qui marque le début d'une reconquête. Le langage se redéploie, regagne son volume et plus. (...) Sous-estimer le renversement de perspective opéré dans Sortie d'usine serait s'aveugler sur une part déterminante de la modernité en cours.
Gérard Noiret, La Quinzaine littéraire, 1982.
Déroulant le fil de son enfance et de sa jeunesse, depuis les années précédant la Grande Guerre, Eugène Dabit nous fait visiter les faubourgs de Paris, du temps des jardinets entourés de grillages, du funiculaire de Belleville, du temps des artisans et des marchands de lacets place des Fêtes.
Émile et Louise Lecouvreur font l'acquisition de l'Hôtel du Nord, par l'intermédiaire de Mercier, marchand de fonds. Au comptoir:Philippe Goutay et sa femme. Parmi les locataires:Renée, qui est aussi la bonne de l'hôtel, et son amant, l'ouvrier Pierre Trimault, qui prend la poudre d'escampette en apprenant qu'il va être père. Des habitués, déjà:les joueurs de cartes, le père Louis et Marius Pluche; Julot, l'éclusier du canal Saint-Martin. Des gens de passage... Des histoires... Eugène Dabit nous conte ici la vie et la mort du petit hôtel du quai de Jemmapes, encore debout aujourd'hui, et qui a inspiré à Marcel Carné l'inoubliable Hôtel du Nord, avec Arletty, Louis Jouvet, Bernard Blier... Atmosphère! Atmosphère!...
Un peu avant la guerre de 1914 - 1918, à Saint-Brieuc, un cordonnier essaie de créer dans la ville une section socialiste, puis, n'étant pas arrivé à convaincre les habitants, entreprend de construire de ses mains une « maison du peuple ». Son fils - encore un enfant - assiste à ses efforts désespérés pour donner un espoir au peuple.
L'art de Guilloux, pudique et tendre, est déjà tout entier dans ce premier roman qui annonce une des oeuvres majeures de son temps. Loin d'être un simple roman à thèse, La Maison du peuple est en réalité un hymne à la tendresse humaine. Il est suivi d'un texte bref, Compagnons, qui raconte la mort d'un ouvrier. Sur un thème désespéré, Guilloux évite tout mélodrame et son histoire gagne une dignité émouvante.
Le livre est préfacé par Albert Camus, qui écrit : « Je défie qu'on lise ce récit sans le terminer la gorge serrée. »
Le Sang noir est l'histoire d'une journée de 1917, dans une ville provinciale de l'arrière. C'est à travers le calvaire du professeur de philosophie Merlin, dit Cripure (à cause de la Critique de la raison pure), le tableau d'une société de pharisiens, de grotesques, de haïssables, en face de gentils, de révoltés, de victimes.Cripure, lui, s'il a été un révolté, ne l'est plus guère. Il est la caricature d'un homme à la fin d'une civilisation, un homme extrêmement pitoyable. Moqué par ses élèves, vivant comme une gothon, sachant qu'une révolution se lève à l'Est, trop tard pour lui, haï par tous les patriotes de l'arrière, il veut se battre en duel, dans un dernier sursaut. Et, comme on le prive de ce duel et de son honneur, il ne lui reste plus que le suicide.Bien que retentissant des problèmes de 1917, Le Sang noir est un roman métaphysique, plus que politique. Cette dimension métaphysique et le foisonnement des personnages font du Sang noir le roman le plus dostoïevskien de la littérature française.
La vie d'une famille d'ouvriers du XVe arrondissement au début du siècle, les Magneux, dont le père est contraint à l'immobilité à la suite d'un accident du travail. Un monde fraternel et englouti.
Marie-Claire Une enfance de bergère orpheline, en Sologne, au début de la III° République... Le petit peuple prend la parole, servi par la sincérité, la simplicité de l'auteur. Une émotion inoubliable. L'Atelier de Marie-Claire En 1920, dix ans après le triomphe de Marie-Claire, Marguerite Audoux donnait une suite à son roman. L'Atelier de Marie-Claire dépeint la vie quotidienne de la bergère solognote, devenue adolescente et montée à Paris pour apprendre le métier de couturière. La solitude, la misère, le mal y sont évoqués avec la même bouleversante économie de moyens que dans Marie-Claire. Marguerite Audoux prend, ici, la parole au nom du prolétariat des villes, après l'avoir prise au nom de celui des campagnes. La guerre de 1914-1918 ayant changé les mentalités et la mode s'étant détournée de l'auteur, ce deuxième roman n'obtint pas le succès du premier. On sait, aujourd'hui, que « l'Atelier de Marie-Claire » est un chef-d'oeuvre au même titre que Marie-Claire, et qu'il en est indissociable.