Figure incontournable du monde du cinéma, Lotte Eisner fut non seulement la grande théoricienne du cinéma expressionniste allemand, la compagne de route d'Henri Langlois à côté duquel elle œuvra pour la Cinémathèque Française, mais aussi celle qui porta outre-rhin toute une nouvelle génération de cinéastes à dépasser les années noires et à reprendre une place essentielle dans la cinématographie mondiale.
Les Mémoires de Lotte Eisner nous replongent dans l'Allemagne d'avant-guerre, à travers la vie quotidienne d'une famille de la grande bourgeoisie juive. Première femme critique de cinéma au Film-Kurier, L. Eisner est témoin de la richesse de la vie culturelle berlinoise (Bertolt Brecht, Max Reinhardt, Valeska Gert, Fritz Lang, Pabst...). Elle fuit l'Allemagne nazie en 1933 et trouve d'abord refuge en France où elle rencontre Henri Langlois et Georges Franju. Internée en 1939 par le gouvernement français au camp de Gurs, elle s'en évade. Durant l'Occupation, Langlois la cache dans un château où elle archive des bobines sauvées in extremis des mains de l'ennemi. Devenue, après-guerre, le numéro deux de la Cinémathèque française, elle parcourt le globe à la recherche des trésors du cinéma (films, décors, accessoires, etc.) et constitue, avec le Musée du cinéma, l'une des plus belles collections au monde. Les Mémoires de Lotte Eisner ont été recueillis par Martje Grohmann, ex-épouse de Werner Herzog, et sont préfacés par le cinéaste qui, dans Le Chemin des glaces, a fait le récit de sa longue marche pour la survie de La Eisnerin. Peinture d'une époque tourmentée, cet ouvrage raconte aussi la constitution d'une mémoire mondiale du cinéma. Les acteurs principaux du septième art y sont convoqués, Lang et Langlois bien sûr, mais aussi Louise Brooks, John Ford, François Truffaut, André Gide, Alfred Hitchcock, André Breton, Marlene Dietrich, Erich von Stroheim ou encore Eisenstein.
De Caligari à Hitler : ce titre célèbre caractérise en un significatif raccourci la période la plus riche de l'histoire du septième art allemand. En 1919, Le Cabinet du Dr Caligari ouvrait, en effet, l'ère de l'" écran démoniaque " et en 1993 Hitler brisait net le sonore. Entre ces deux dates l'expressionnisme témoigna des tourments de l'âme germanique tandis que le réalisme analysait une société en crise. Rarement le cinéma fut plus profondément enraciné dans la vie culturelle, politique et sociale d'un peuple.
Siegfried Kracauer devint en 1920 le critique cinématographique de la Frankfurter Zeitung et il y demeura jusqu'en 1933. C'est dire qu'il a suivi pas à pas le développement du cinéma dans son pays. Théoricien de l'esthétique, historien, philosophe, il entreprend d'étudier la propagande et les films nazis lorsqu'il arrive aux Etats-Unis, ce qui le conduit à remonter le courant et à écrire une étude psychologique fouillée qu'il publie en 1947 : From Caligari to Hitler (Princeton University Press). Ce texte, le premier qui utilise en cette matière les conquêtes du marxisme liées à celles de la psychanalyse, montre que le septième art, mieux que tout autre moyen d'expression, révèle dans sa vérité complexe la mentalité d'une nation. Immédiatement, ce livre monumental s'imposa comme un classique.
Décors tourmentés, perspectives dépravées, expressivité des corps d'acteurs, jeux d'ombre et de lumière, sensations de fin du monde.
Pourquoi cet expressionnisme-là, celui du cabinet du docteur caligari, est-il resté si célèbre ? mais pourquoi ce même expressionnisme ne peut-il établir aussi une liste immuable des films qui le composent, pourquoi doit-il toujours prouver sa validité, suspecté dès l'origine de n'exister que par abus de langage ? cet ouvrage suppose l'inverse : non qu'une définition du phénomène soit aisée ou même possible (il existe toute une histoire, racontée ici, de cette aventure intellectuelle), mais que ce e mouvement ou ce moment si contesté a joui d'une forme de postérité qui le prouve presque en retour.
D'orson welles à tim burton, de maya deren à kenneth anger, de blade runner à david lynch pour ne citer que quelques noms d'un seul continent, le cinéma expressionniste s'avère paradoxalement une des grandes virtualités accomplies du cinématographe. depuis son origine jusqu'à aujourd'hui, il pose des questions d'esthétique, d'histoire, des questions qui dévoilent tout un pan du 7e art.
De l'Allemagne de Weimar jusqu'aux années 2000, le mal est un véritable fil rouge dans la création cinématographique allemande. L'expressionnisme des années 1920 impose la figure d'un mal métaphysique (Nosferatu, Le docteur Mabuse...). Au même moment un cinéma engagé dépeint celui de la fatalité du déterminisme social (Loulou, M le Maudit...). Le pouvoir nazi en fait un objet de propagande totale. Pour les cinéastes allemands et autrichiens d'aujourd'hui, la question n'est plus de savoir si le mal existe mais comment le bien et la morale sont possibles.
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Octobre 1940. Un producteur allemand, Alfred Greven, crée dans Paris occupé une société de production cinématographique, la Continental Films, où il enrôle les plus célèbres vedettes (Danielle Darrieux, Fernandel, Raimu, Harry Baur) et des cinéastes de renom (Marcel Carné, Maurice Tourneur, Henri Decoin, Henri-Georges Clouzot). Durant les quatre années d'Occupation, la Continental produit trente films, dont certains chefs d'oeuvre, comme Les Inconnus dans la maison et Le Corbeau.
Pour la première fois, l'histoire de cette société de production, de son fondateur et de celles et ceux qui y ont travaillé est racontée de l'intérieur, grâce à des archives allemandes et françaises inédites. On verra sous un éclairage nouveau le climat délétère au sein de la Continental, le voyage des artistes à Berlin en mars 1942, ainsi que la mort mystérieuse d'Harry Baur.
Porté par deux Oscars et le succès de films comme Good Bye Lenin! ou La vie des autres, le cinéma allemand renaît après deux décennies d'absence. Pierre Gras, ancien des Cahiers du cinéma, analyse les causes de cette renaissance et fait le portrait de ceux qui l'ont permise.
« J'ai fréquenté Fritz Lang durant de nombreuses années. J'ai vu et revu la plupart de ses films. Le texte qui va suivre ne s'adresse pas à un public de cinéphiles. Les rapports souvent orageux avec Fritz Lang sont ici rapportés avec exactitude.
Les rapports souterrains entre la vie de Fritz Lang et les personnages de ses films font partie de mon interprétation personnelle. Les critiques que j'ai pu lire à propos de son oeuvre, nombreuses, se recoupent ici et là et pourtant diffèrent sur bien des points. Aucun ne détient la vérité absolue.
Je laisse de côté ceux qui, revoyant certains films, sont revenus sur leurs premières impressions. Leur enthousiasme a disparu. Certains considèrent l'oeuvre américaine du cinéaste comme un pis-aller dû à un exil forcé. Les quelques propositions que j'avance concernant les deux Tigre n'engagent que moi et peuvent aussi bien être refusées. Les lettres que Fritz Lang m'avait adressées, figurant en fin de volume, sont suffisamment parlantes pour que je m'abstienne de les commenter. Enfin, reconnaissons que cet homme n'a pas cédé un pouce en rapport avec ce qu'il voulait exprimer ; plus souvent qu'on ne l'imagine avec des budgets dérisoires. Il s'en est accommodé en tirant le meilleur parti possible, restant lui-même. Ce fut à la fois sa force et son anémie. »
En 1929, Friedrich Murnau, l'un des plus grands cinéastes au monde, abandonne le confort d'Hollywood pour rallier, à bord d'un petit voilier, les Marquises d'abord puis Tahiti et Bora-Bora. C'est là qu'il réalise Tabou, « le plus beau film du plus grand auteur de films », selon Éric Rohmer.
Mais ce chef-d'oeuvre incomparable est maudit. Son tournage sera marqué par les drames et les catastrophes. Et Murnau, comme basculant dans son propre film, mourra tragiquement une semaine avant la première du long-métrage.
Murnau des ténèbres est le roman vrai de cette expédition fascinante. Dans un style à la beauté envoûtante, Nicolas Chemla conjugue le récit d'aventures, le conte fantastique et la méditation philosophique. À la frontière du rêve et de la réalité, de la vérité et de la fiction, il signe un texte à rebours de toutes les modes et renoue avec le souffle des grands écrivains-voyageurs comme Joseph Conrad, Herman Melville ou Pierre Loti.
Rentrée littéraire 2021 ;
Récit de la déchéance d'une star américaine des années 1920-1930 du cinéma muet et fragments de la plus sublime des flappers (une flapper est une garçonne un peu provocatrice de cette époque), Louise Brooks. Mais récit inventé dont le départ est un projet de conférence sur Louise Brooks : sa vie, les sentiments qu'elle inspire à l'auteur... A travers son égérie, R. Jaccard se raconte.
Le 4 octobre 2008, de retour de La Nouvelle Orléans où il tournait son nouveau film, Bad Lieutenant : Port of Call New Orleans, Werner Herzog a reçu Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau à l'opéra de Valencia alors qu'il préparait la mise en scène de Parsifal. Dans le long entretien qu'il leur a accordé, le cinéaste parle de ses films, près de cinquante-cinq à ce jour, et de ses nombreux projets. Il revient notamment sur Aguirre, la colère de Dieu (1972), Nosferatu - fantôme de la nuit (1978) ou Fitzcarraldo (1982), ainsi que sur certaines grandes oeuvres récentes, dont Grizzly Man (2005) et Encounters At The End Of The World (2007).
Le cinéaste décrit surtout les expériences humaines sans lesquelles son oeuvre n'aurait pas pu exister : une enfance de solitude et de fantaisie dans les montagnes bavaroises ; la marche à pied le long des frontières d'Allemagne, en Afrique et aux Etats-Unis ; la fascination pour le vol et pour la grotte de Chauvet ; la passion de l'Histoire, l'admiration pour Hannibal et pour Tite-Live ; la pratique de l'écriture, l'amitié avec Ryzard Kapuscinski et Bruce Chatwin ; le sentiment de l'avenir, du caractère éphémère de la race humaine et la proximité avec le danger, depuis toujours.
« De toute ma vie je n'ai jamais rien construit qui ressemble à une carrière. Je viens de finir un film, qu'est-ce que je peux faire maintenant ? Quelle est la liste des best-sellers ? Je n'ai jamais fonctionné comme ça. J'ai une métaphore pour décrire ma façon de travailler. Imaginez que vous invitiez deux personnes à la maison. Vous entrouvrez la porte, et tout à coup celle-ci s'ouvre en grand, les fenêtres volent en morceaux et vous vous trouvez en compagnie de quatre-vingts personnes que vous n'avez pas invitées. Comment s'en débarrasser ? Comment les faire ressortir par la porte, le sous-sol, les fenêtres, la cheminée ? Bad Lieutenant n'est toujours pas fini et il y a déjà cinq, peut-être six films de fiction que je n'ai pas invités et qui cherchent pourtant à s'imposer. J'ai également deux ou trois projets documentaires. Comme celui sur les langues mourantes : il exige, il exige... Avec toute cette pression sur moi, je ne sais pas quoi faire, je ne serai jamais assez rapide. Mais je ne suis pas du genre à m'agiter : je vais les faire ressortir un par un par la fenêtre. »
Déjà traduit en plusieurs langues, Conquête de l'inutile (Eroberung des Nutzlosen) a été salué par la presse allemande et internationale comme un ouvrage de première importance. En 1979, Herzog publia un « journal » de marche intitulé Sur le chemin des glaces (P.O.L.), un des plus beaux textes jamais écrits par un cinéaste. Conquête de l'inutile est un second jalon dans la découverte de celui qui est autant un aventurier de l'écriture que de l'image.
Werner Herzog est célèbre pour ses tournages mouvementés et ses relations orageuses avec l'acteur Klaus Kinski. En 1981, le cinéaste se rend au Pérou pour tourner Fitzcarraldo, l'histoire d'un homme déterminé à construire un opéra en pleine jungle et prêt pour cela à hisser un bateau à vapeur de l'autre côté d'une montagne. Tout se passe mal, le climat est terrible, la santé du cinéaste de plus en plus fragile. Le campement est détruit, la guerre fait rage entre le Pérou et l'Equateur, l'acteur d'abord prévu doit être remplacé à mi-tournage par Kinski. Dans une écriture microscopique quasi-indéchiffrable, Herzog tient la chronique de ce désastre. Conquête de l'inutile est le témoignage unique d'un artiste qui, engagé dans le « délire de la jungle », médite et éprouve sans cesse la grande obsession de son oeuvre : le poids et l'adversité de la nature, seule divinité qui vaille.
« Conquête de l'inutile survivra à tous mes films. J'en suis sûr. Les films ont de toute façon une durée de vie limitée. Les gens doivent bien comprendre que ce livre est une oeuvre de prose, un rêve ou un délire en état de fièvre. A fever dream. A fever delirious. Ce n'est pas un journal de tournage. Seule la structure extérieure en adopte la forme et le ton. C'est un texte purement littéraire déguisé en journal de bord. A l'origine c'était bien sûr un journal, mais seule une toute petite partie de ce qui y est écrit est tiré d'événements effectivement survenus au cours du tournage de Fitzcarraldo (1982). Je décris avant tout des événements intérieurs. Je le redis, c'est le rêve d'un homme qui a la fièvre. C'est un livre de catastrophes inventées. Comme si, pendant que je tournais Fitzcarraldo, j'écrivais de la poésie sur ce que c'est que vivre dans la jungle. » Werner Herzog. Extrait du livre : Conquête de l'inutile, entretien avec Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau.
Pendant toute sa vie, Fassbinder a donné un grand nombre d'interviews, réfléchissant ainsi en parallèle sa pratique du cinéma. Ce volume regroupe quelques entretiens et essais où il donne à penser le métier de réalisateur, l'engagement de l'artiste, les liens entre l'art et la politique. Si ses films constituent un journal personnel de l'artiste, les interviews en sont le commentaire. Des propos libres et vivifiants sur le monde contemporain, les rapports entre le cinéma et la réalité, la jungle des commissions, le métier de cinéaste à Hollywood et en Allemagne, mais aussi l'amour et le travail, la violence au coeur des relations sociales et dans la sphère privée.
Fassbinder, clap de fin est consacré aux dernières années du célèbre réalisateur allemand, notamment à son ultime film, Querelle, adapté du roman de Jean Genet. Analysant tour à tour la vie et l'oeuvre de Fassbinder, Guillaume de Sardes montre combien l'une et l'autre sont liées, toutes deux marquées par le rejet des normes bourgeoises et une fascination pour les marges et leurs occupants. Cinéaste radical, Fassbinder a fait de son existence la matière même de son oeuvre laissant derrière lui des films froids, présentant une société minée par le désir.