Une sélection de romans et de récits qui n'éludent ni les crimes, ni les disparitions, ni les profiteurs de cette longue décennie noire au coeur de l'Amérique Latine. L'Argentine s'y découvre dans toute sa force et toutes ses douleurs au travers une littérature engagée, politique ou historique et résolument poétique.
Pendant une décennie effrayante, Andrew Graham-Yooll fut le rédacteur en chef du Buenos Aires Herald, le réputé quotidien anglophone de la capitale argentine. Autour de lui, régulièrement, amis et connaissances «disparaissaient» sans laisser de traces.
Bien que le moindre faux-pas eût scellé son sort, il ne se démonta pas et s'acharna à rendre compte quotidiennement, dans son journal, de la terreur ambiante. Il assista à des conférences de presse clandestines de la guérilla, dénonça assassinats et intimidations, aida des proches sans nouvelles de l'un des leurs et rencontra même un tortionnaire qui lui fit de sombres confidences.
Un récit édifiant sur la vie quotidienne en Argentine sous la dictature militaire des années 1970, la période la plus noire de l'histoire récente du pays. Une lecture plus que jamais d'actualité en 2022, à l'aune de nos démocraties défiées.
Opération Massacre est une enquête exhaustive et pénétrante sur les événements survenus en 1956 dans une décharge de la capitale argentine: le 9 juin 1956, les généraux Tanco et Valle se soulevèrent contre le gouvernement de facto qui avait destitué le président Perón en septembre 1955. L'insurrection fut brutalement et illégalement réprimée. Il y eut de nombreux morts, dont sept tombèrent au cours du combat. Dans les décharges publiques de José León Suárez, un groupe de civils - certains vaguement liés à la conspiration, les autres totalement étrangers à celle-ci - furent exécutés avant même que ne soit proclamée la loi martiale. Une poignée d'entre eux réussit, à grand-peine, à échapper à la mort. Rodolfo Walsh, qui jusqu'alors était journaliste culturel et traducteur, retrouva l'un des survivants de cet épisode, l'interviewa et le questionna de façon à reconstituer les faits. Il publia son témoignage dans le journal Mayoria. Ces articles mettaient en lumière l'essence criminelle et répressive de ce régime militaire. Ses dénonciations lui valurent poursuites et persécutions ; à tel point qu'il dut se réfugier dans la clandestinité pendant plusieurs mois, jusqu'en 1957, date à laquelle Opération Massacre fut publié sous forme de livre aux éditions Sigla. En écrivant ce livre, Walsh n'avait nullement l'intention d'accomplir un acte héroïque. Il l'expliqua plus tard lors d'une interview : " Il y avait à la base un sentiment d'indignation, de solidarité face à tant d'injustice. Mais je suppose que tout n'a pas été aussi clair ni aussi noble. Je venais juste de commencer à faire du journalisme et il se peut que l'idée d'écrire un grand article m'ait effleuré. " Walsh avait trente ans. Pour raconter ce que qu'il avait à raconter, il a eu recours à tous les procédés littéraires : intrigue, descriptions détaillées, structure chorale, le tout dans un style élégant, dépouillé, incisif et efficace.
L'écrivain argentin, Ricardo Piglia, a recueilli dans son article, " Rodolfo Walsh et la place de la vérité ", paru vers 1970, cette réponse de l'auteur :
" La dénonciation transposée à l'art du roman devient inoffensive... Le document, le témoignage, admet un important degré de perfectibilité ; il y a dans la sélection, dans le travail d'investigation d'immenses possibilités artistiques ". Rodolfo Walsh est né le 9 janvier 1927, d'une famille d'origine irlandaise, dans la province du Río Negro, en Argentine. En 1941, il s'installe à Buenos Aires où il finit son cursus secondaire. Il commence des études de philosophie qu'il interrompt pour effectuer toute une série de petits boulots avant de devenir correcteur pour la presse, faisant ainsi ses premiers pas dans le journalisme auquel il va consacrer sa carrière. A la fin des années 1940 il rejoint le mouvement Alianza Libertadora Nacionalista avant d'adhérer à la cause péroniste. Outre ses écrits journalistiques, Rodolfo Walsh publie un certain nombre d'ouvrages plus littéraires, y compris des histoires policières.
En 1953, il obtient le prix littéraire municipal de Buenos Aires pour son recueil de nouvelles intitulé Variaciones en rojo et son premier article sur Ambrose Bierce dans la revue Leoplán.. En 1957, il fait paraître Opération massacre qui est le résultat d'un travail d'enquête sur l'assassinat de personnalités de l'opposition sous le gouvernement militaire institué par Aramburu. Cet ouvrage, considéré comme un modèle de journalisme d'investigation. En 1960, il se rend à Cuba en compagnie de quelques collègues et de l'écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez avec qui il monte l'agence de presse Prensa latina. Il retourne en Argentine en 1973, où il collabore aux magazines " Primera plana " et " Panorama ". De 1968 à 1970, il fonde et dirige l'hebdomadaire CGTA. A la même période, il rejoint le groupe radical des Montoneros. Le 24 mars 1977, il écrit une " Lettre ouverte à la junte militaire " (publiée en annexe de ce volume) dans laquelle il dénonce les politiques économiques menées par le gouvernement. Le lendemain, il tombe dans un guet-apens au cours duquel il est enlevé et probablement tué par les forces de la répression de la dictature militaire bien que son corps n'ait pas été retrouvé (son nom figure toujours sur la liste des disparus sous la junte militaire instaurée en 1976). Opération massacre est l'un des premiers romans de "non fiction" écrits en espagnol. Considéré comme un modèle de journalisme d'investigation, neuf ans avant l'apparition aux Etats-Unis du courant appelé New Journalism, il en suit déjà les règles, à savoir l'application de procédés propres au roman au récit de faits réels. Opération massacre a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1973. Si France Culture lui a consacré une émission le mardi 17 février 2009, aucun ouvrage de Rodolfo Walsh - à l'exception de sa " Lettre ouverte d'un écrivain à la junte militaire ", publiée en 2006 dans la revue de science politique Cultures & Conflits - n'était encore disponible en France. La publication d'Opération massacre aux éditions Bourgois permet de réparer cet oubli. "Le véritable écrit fondateur de la non-fiction. [...] En 1957, les éditions Sigla publie Opération Massacre pour la première fois sous forme de livre. Walsh a alors trente ans et a recours, pour raconter cette histoire, à toutes les techniques de la littérature (celle qu'il écrit, qu'il lit, qu'il traduit : et le journalisme culturel qu'il pratique): Il allie curiosité, suspense, descriptions minutieuses, structure chorale et élégance de la langue. " (Leila Guerriero, El País, 01/11/ 2008)
Buenos Aires, 1977. La dictature argentine mène sa "? guerre sale ? " ? : toutes les nuits, des escadrons de la mort abattent des militants ou les emmènent vers une destination inconnue. Professeur de littérature, Gómez tâche de faire profil bas alors que le nombre de disparus grandit autour de lui. Jusqu'au jour où l'un de ses élèves, Estéban, est raflé dans sa salle de classe même. Rongé par l'insomnie et la paranoïa, Gómez passe ses nuits dans des bars interlopes en quête d'aventures avec des hommes de passage.
Il va jusqu'à entamer une relation trouble et violente avec un policier qui l'effraie autant qu'il le fascine. Mais son conflit intérieur entre morale et survie va devenir intenable quand un jeune couple de dissidents se réfugie chez lui. Dans 1977, Guillermo Saccomanno nous rappelle que l'Histoire se répète, et que les avertissements du passé sont rarement entendus. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Michèle Guillemont.
Mettez ensemble un retraité, un adolescent maniaco-dépressif, une vieille tortue anarchiste et un employé de banque de trente ans. Placez-les au coeur de Buenos Aires, en pleine dictature, alors que la «guerre sale» prend fin à l'avantage des militaires. Quelle est l'action la plus raisonnable qu'ils entreprendront ? Braquer une banque et signer ainsi la défaite par une victoire.En réaliste impitoyable, Rolo Diez raconte comment l'histoire ne donne pas nécessairement raison aux «bons». Militaires, psychiatres, machos, yuppies et ménagères, personne n'échappe à l'irrévérence de l'auteur. Les révolutionnaires deviennent tordants à force de marcher droit et ce n'est pas parce que les salauds ont tort qu'ils n'ont pas leurs raisons.Face à cela, il ne nous reste qu'à admirer l'Homme Araignée et l'intrépide Vito Nervio, à nous méfier de Von Kranach et de l'envoûtante Madame Sabath. Ne serions-nous pas moins grotesques si nous prenions, comme Vladimir, la bande dessinée au sérieux ? Rolo Diez combine la tonalité du tango - âme profonde de l'Argentine - avec cette vision burlesque de l'existence.
Purgatoire raconte l'histoire d'Emilia Dupuy, dont la vie s'est brisée un jour de juillet 1977, près de la ville de Tucumán, dans le nord de l'Argentine.
Avec son mari Simon, cartographe comme elle, ils étaient partis en mission dans cette région lointaine pour parachever la carte d'une route internationale à la demande de l'Automobile Club de Buenos Aires. C'est alors qu'ils sont arrêtés par les militaires en raison de leurs activités « suspectes », ils détiennent en effet, pour leur travail, des cartes topographiques de toute la zone. Après avoir été détenue et torturée, Emilia est libérée par les autorités grâce à l'intervention de son père, le Docteur Dupuy, l'un des intellectuels du régime, dont les idées guident l'action de la dictature.
Emilia rentre à Buenos Aires où elle pense retrouver Simon. Mais Simon ne rentrera jamais. Le calvaire d'Emilia s'étend sur plus de trente ans. Elle part chercher son mari à Rio où un témoin dit l'avoir vu ; elle parcourt les bidonvilles de Caracas et de Mexico où elle croit pouvoir retrouver sa trace. Elle n'accepte pas les conclusions de l'enquête menée par des ONG après la chute de la dictature ni les déclarations de plusieurs soldats qui ont vu le cadavre de Simon dans le patio d'une caserne.
Emilia pense que son mari est toujours en vie car elle « sent » sa présence. Qui plus est, vers la fin de sa vie, elle le voit enfin et le retrouve mais comme dans un rêve, ou est-ce la projection de son esprit dérangé ? Car Emilia vit avec les démons du passé : la culpabilité d'un père qu'elle refuse de s'avouer (ce bras droit des militaires n'a eu aucun mal à faire « disparaître » son gendre, jugé « subversif »), et les cauchemars d'une époque effroyable qu'elle a vécue comme un zombi, assommée par la violence psychologique exercée par sa famille et par la société tout entière.
Tomás Eloy Martínez, l'un des intellectuels argentins qui a dénoncé avec le plus de force et d'indignation les crimes de la dictature militaire de son pays, nous raconte cette histoire d'amour et d'obsession dans deux cadres temporels alternés : celui de la dictature et, trente ans plus tard, celui des derniers jours d'Emilia, devenue bibliothécaire dans une petite ville du New Jersey. La narration passe d'un contexte à l'autre, d'une époque à l'autre, et nous offre, à la fois, une fresque historique des années noires de l'Argentine et le portrait intime d'une femme seule, déséquilibrée et hantée par son passé.
Après vingt ans d'ignorance puis de quête, Luz a enfin démêlé les fils de son existence. Elle n'est pas la petite-fille d'un général tortionnaire en charge de la répression sous la dictature argentine ; elle est l'enfant d'une de ses victimes. C'est face à son père biologique, Carlos, retrouvé en Espagne, qu'elle lève le voile sur sa propre histoire et celle de son pays.
Décembre 1977 : les relations franco-argentines sont en crise à la suite de l'assassinat des deux religieuses françaises proches des mères des disparus. La visite de Daniel Barenboïm et de l'Orchestre de Paris à Buenos Aires en juillet 1980 pose la question du pouvoir critique des musiciens face à cette dictature féroce.
Au Teatro Colón, la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler, qui s'ouvre sur la Trauermarsch - une gigantesque marche funèbre, où Adorno avait entendu « un cri d'effroi devant pire que la mort » -, fut suivie d'une ovation interminable en l'honneur des musiciens français et de leur chef israélo-argentin, de retour dans sa ville natale après vingt années d'absence. Mais comment l'interpréter ?
Trente-six ans plus tard, Esteban Buch propose un essai sur les significations politiques de la musique où l'auteur devient acteur de son propre récit :
« J'y associe l'histoire de ma famille errant entre les nazis et les militaires latino-américains, et une réflexion sur le rôle des arts dans le comportement des élites argentines pendant la dictature. Ce parcours entre histoire et mémoire débouche sur une discussion théorique du concept de résistance et ses variantes - dissidence, dissensus, protestation, opposition, négativité, critique -, qui souligne le plus petit dénominateur commun à tous, le mot non.» Nourri de musicologie, de sciences sociales et de littérature, ce livre retrace une énigme musicale au coeur d'une Argentine devenue le théâtre silencieux d'un des crimes majeurs du XXe siècle.
L'affaire Bomarzo est une histoire de censure : la censure, par la dictature argentine en 1967, d'un opéra d'Alberto Ginastera et Manuel Mujica Lainez, accusé de "référence obsessionnelle au sexe, à la violence et à l'hallucination".
Ainsi, Bomarzo reste à ce jour l'emblème des persécutions idéologiques de la dictature militaire. D'abord soutenue par le général Ongania lors de sa création à Washington, cette oeuvre de musique contemporaine est, quelques mois plus tard, brutalement exclue de la scène musicale de Buenos Aires par ce même régime. Ses auteurs, pourtant plutôt conservateurs, sont rejetés, condamnés, traités de pervers.
Aussi haletante qu'un thriller, la chronique de ce scandale nous fait revivre l'ampleur et la complexité du débat suscité par l'interdiction, et interroge le rôle de l'église et de l'Etat comme régulateurs des rapports entre l'art et la morale. En observant le comportement des artistes et des intellectuels pendant ces années sombres, Esteban Buch dévoile les engagements et les compromissions de l'ensemble de la société argentine et, plus largement, éclaire les rapports entre musique et politique au XXe siècle.
Un jeune argentin vivant à Londres pour qui le Mickey de "l'Apprenti sorcier" est un modèle de rebellion, un cacique de la pampa à vocation d'écrivain qui extorque des fonds pour une organisation de guerilla; un gardien de but chargé d'organiser des matchs de football dans les camps de détention de la dictature militaire; de jeunes soldats envoyés aux Malouines ayant pour ennemi des " gurkhas": deux gauchos discourrant sur l'invibilité et le renouveau de la littérature après le meurtre de Borges, tels sont quelques uns des thèmes déveoppés dans les seize récits qui forment le tout premier livre de Rodrigo Fresan, paru en 1999 aux éditions Autrement sous le titre L'homme du bord extérieur..Publié aujourd'hui dans une nouvelle édition revue et augmentée et dans une nouvelle traduction, Histoire Argentine, contient en germe l'univers littéraire très personnel et très original de Rodrigo Fresan: héros freaks des romans à venir, esthétique pop, prédilection pour la science-fiction, références à la contre-culture américaine des années soixante-dix, lieux hors du temps, réflexions sur la création littéraire. Parce qu'il parle de l'Argentine de la dictature sur un mode insolite et entièrement nouveau, ce livre a consacré Rodrigo Fresan chef de file du jeune roman sud-américain et l'a propulsé sur le devant de la scène littéraire au même titre que son ami Roberto Bolano.
Ce texte sur la torture des femmes et leur tentative de survie dans les centres clandestins de détention de Córdoba est un acte testimonial unique, où la poésie se mêle à l'horreur pour narrer l'indicible. Une lutte contre l'oubli qui fait entendre, à travers la voix et la mémoire de l'auteure, celles de centaines de détenues réduites à jamais au silence par la dictature militaire argentine.
« Ici grand rassemblement de femmes, chuchotements de femelles, psalmodies de terre sans racines, esprits happés par ordres de gendarmes, comme roches aiguisées adhèrent à côtes, oreilles, palais ; pénètrent carcans, bandages, tissus rêches, entraves, ramassis de guenilles comme perles de collier. (...) - Ici il n'y a pas d'innocentes, pas d'erreurs, vous êtes ici pour quelque chose. » S.R.S.
« Perro » (le Chien) Lascano est convoqué par une femme richissime qui se révèle être la soeur de sa mère, perdue de vue depuis longtemps. Cette femme le charge de retrouver sa fille. Tandis qu'il entame une enquête compliquée qui l'amènera à croiser des flics véreux, des tenancières de club décrépites et des tueurs sans pitié, nous plongeons dans le milieu des proxénètes qui enrôlent des jeunes filles vivant à la campagne ou dans les villas, ces fameux bidonvilles de Buenos Aires.
C'est à Mar del Plata, ville touristique située au sud de la capitale, que Lascano se retrouve confronté au système révoltant de la prostitution organisée avec ses rabatteurs, ses chasseurs et ses victimes, droguées et séquestrées. Il ne parviendra qu'un temps à le déstabiliser (libérant deux jeunes prisonnières) mais bientôt, l'implacable mécanique se remettra en marche...
Nouvelle enquête de Perro (le Chien) Lascano, le héros d'Ernesto Mallo. Nous sommes cette fois au tout début du règne du dictateur Videla en Argentine. Lascano est un jeune flic, déjà intègre, qui enquête sur le suicide suspect d'un Allemand. Il comprend très vite qu'il s'agit d'un meurtre et décide de creuser l'affaire, ce qui gêne ses supérieurs, tous plus corrompus les uns que les autres. Les choses se corsent quand on retrouve dans le bureau de l'Allemand un carnet rédigé par un homme qui a été gardien à Auschwitz...
" Perro " (le chien) Lascano est officier de police à Buenos Aires.
C'est un policier intègre, position difficile à tenir dans l'Argentine de la dictature. Profondément affecté par la mort de sa femme, il se réfugie dans le travail. Un matin, il est envoyé près du Riachuelo, où trois cadavres ont été signalés : un jeune homme et une jeune femme dont les crânes ont explosé sous l'impact des balles, marque caractéristique des méthodes " d'exécution " des militaires. L'autre corps présente un aspect sensiblement différent ; il s'agit d'un homme bedonnant, d'âge mûr, dont la tête est intacte.
Une tache de sang dessine une fleur sur sa chemise. Comme le dit Fuseli, le médecin légiste, " les morts parlent à ceux qui savent les écouter ". Lascano va s'efforcer de faire parler ce troisième cadavre, mais ce ne sera pas chose facile dans un pays où des hommes aigris et dangereux comme le major Giribaldi font régner la terreur. L'aiguille dans la botte de foin met en scène un policier atypique dans ce premier volume d'une future série.
L'écriture de Mallo, tranchante comme celle des meilleurs romans hard-boiled, et parfois étonnamment poétique, nous plonge dans le quotidien de Buenos Aires sous la dictature. Si la critique sociale et politique est omniprésente, il se dégage de ce livre un indéfinissable esprit argentin qui en fait tout le sel.
Mémoire argentine s'ouvre sur une anecdote douloureuse : la narratrice est dans une salle d'attente, avant sa séance collective chez un psychiatre. Un homme arrive, en état de choc, et crie son besoin de voir un médecin. Mais on ne le reçoit pas sans rendez-vous parce qu'il faut " redresser " ce genre d'individus. L'homme se suicide la nuit même. La narratrice pose d'emblée l'emprise des psychiatres qu'elle a connus sur les êtres faibles et désoeuvrés, leur impuissance à les aider qui, sous couvert de méthodes thérapeutiques, découle en réalité de leur indifférence. La psychothérapie est un leurre : seule l'écriture cathartique pourra apaiser la souffrance de la narratrice.
Dans ce recueil de récits qui constitue une sorte d'autobiographie kaléidoscopique, Tununa Mercado interroge en effet sa propre mémoire d'exilée argentine. Seize années passées loin de son pays - un premier exil après le coup d'état de 1966 jusqu'en 1970 et un second de 1974 à 1986 - ont privé sa psyché et son corps des repères vitaux. Autour des thématiques du déplacement et du retour, elle explore les effets physiques et psychologiques induits par la condition d'exilée : l'éclatement de son identité, la confusion des lieux et du temps, ses difficultés à s'intégrer dans une culture étrangère, les maladies psychosomatiques qui adviennent de son angoisse, la présence des êtres et des choses qu'elle a laissés et qui la hantent, le sentiment omniprésent de la perte.
Ce sont des situations précises qu'évoque la narratrice, non sans humour ni sans ironie quand elle parle de ses problèmes vestimentaires, de ses obsessions culinaires ou de ses soucis domestiques. Avec un sens cinglant du détail significatif, elle parvient à rendre palpable la réalité de son identité diffractée, lors de ses séjours en France et au Mexique, mais aussi lors de ses différents retours sur le sol natal, pointant à la fois le ridicule et le pathos de sa situation : même lorsqu'il revient chez lui, l'exilé reste un marginal.
La narratrice évoque aussi le destin d'autres exilés : celui des Argentins au Mexique qui reconstruisent ensemble le décor de leur pays pour y vivre par procuration afin de " transformer ces limbes argentins qui constitu[ent] l'exil ". Le lecteur croise également Ovidio Gondi, socialiste républicain, exilé espagnol depuis 1939, Pedro, exilé européen qui trouve ses semblables dans le peuple argentin, et Trotski, le grand exilé, qui finit sa vie au Mexique et dont les compagnons de la narratrice visitent rituellement la dernière demeure. Enfin, le récit se clôt sur la figure du clochard Andrés, antithèse de la narratrice, exilé volontaire dans son propre pays, qui a choisi de vivre à ciel ouvert, sans maison et sans biens, pour résoudre des questions théoriques mathématiques.
Ces récits, d'une écriture dense, poétique, marquée par l'urgence sont comme une typologie de l'exil et la véritable force de la narratrice est de parvenir à lier son destin dans ce qu'il a de plus intime à une fatalité collective. Ici, c'est le fonctionnement de la mémoire qui fascine : par des sensations, des impressions ténues, Tununa Mercado mène obstinément sa recherche du temps retrouvé.
Une ode sensible et brutales aux disparus.Tomas Orilla a fui Buenos Aires aux heures les plus sombres du coup d'État militaire de Videla en 1976. Depuis, il s'appelle Thomas Shore et vit à New York. Mais après dix ans d'absence, le passé le somme de rentrer, le convoquant au chevet de Pichuca, la mère d'Isabel Aroztegui, son premier et seul amour, disparue elle aussi. Tel Orphée, ce voyage à l'envers emporte Tomas dans une odyssée souterraine, où l'attendent tapis ses démons intimes et les ombres de ceux qu'il a abandonnés. Il n'a alors d'autre choix que d'affronter son passé...
Marie-Anne Erize avait 24 ans, un physique de mannequin, des utopies de rebelle. Un jour d'octobre 1976, des militaires en civil l'ont enlevée à San Juan, petite ville du nord-ouest de l'Argentine. Ses parents, ses amis, ses six frères et soeurs ne l'ont jamais revue. Depuis, elle fait partie des 30 000 disparus de l'époque de la dictature (1976-1983), ces hommes et ces femmes dont le souvenir hante à jamais ce pays à la mémoire lourde.
Peu importe que cette histoire remonte à plus de trente ans. Philippe Broussard a voulu la raconter. Partir sur les traces de Marie-Anne. Retrouver des témoins. Reconstituer son parcours. De Paris à Buenos Aires, il a interrogé des dizaines de personnes et tenté d'assembler le puzzle de sa vie. De ses vies, plutôt. Née dans une famille de « pionniers » français établis en Argentine, elle a grandi dans la jungle, fréquenté diverses écoles catholiques, défilé comme top-modèle, côtoyé de grands artistes (le chanteur Georges Moustaki, le guitariste Paco de Lucia...) et vécu un temps à Paris.
Son destin bascule en 1973, quand elle renonce au milieu de la mode, trop superficiel à ses yeux. Militante péroniste, aidesociale dans les bidonvilles, elle entre peu à peu dans la clandestinité au sein des Montoneros, une guerilla d'extrême gauche. Cette fuite en avant, sur fond de repression ultra-violente, s'achèvera à San Juan, un vendredi de 1976...
L'histoire n'est pas terminée pour autant. Aujourd'hui encore, deux procédures judiciaires sont en cours, en France et en Argentine, pour connaître la vérité sur son sort. Un suspect est même en prison, à San Juan : Jorge Olivera, un colonel devenu avocat, catholique intégriste et militant d'extrême-droite. C'est lui qui aurait organisé le rapt, puis la disparition de la belle Française.
Le livre repose sur une structure narrative à deux vitesses : l'alternance entre le récit chronologique du parcours de Marie-Anne et des lettres que l'auteur écrit à sa mère, âgée de 84 ans, afin de l'informer de ses recherches et de lui dévoiler la part d'ombre de sa fille.
Les cadavres de trois tortionnaires ayant tenu le haut du pavé sous l'ancienne dictature militaire d'un pays d'Amérique latine sont successivement retrouvés.
La police confie l'enquête à un détective atypique : Van Upp. Lui-même aux prises avec de lourds souvenirs, il va se heurter aux fantômes du passé. La Griffe du passé dit la nécessité pour une nation de construire son histoire et, à travers la folie d'une personne, décrit les séquelles inhérentes à toute guerre civile.
On s'en serait douté : Jamais plus de peine ni d'oubli, deuxième roman de Soriano, fut interdit en Argentine à sa sortie, peu après le coup d'état de la junte militaire (1976) qui chassa Isabelita Peron du pouvoir. L'action se situe à Colonia Vela, minable bourgade rurale d'une province de Buenos Aires, entre 1973 et 1974. (Juan Peron vient de revenir au pouvoir, il va bientôt mourir). Des soupçons d'infiltration marxiste attisent les rivalités entre petits chefs péronistes de droite et de gauche. Elles vont dégénérer, tourner au western absurde. Les marionnettes grotesques et tragiques de Soriano ne mégotent ni sur la bouteille ni sur le choix des armes : dynamite, camionnette, bulldozer et larguage de matière fécale à l'aide d'un zinc normalement destiné à l'épandage d'insecticide. Outranciers voire cinglés, ces fantoches ne manquent cependant pas d'humanité, de drôlerie, de frâicheur : Soriano n'oublie jamais que c'est l'Argentine, son pays, qui souffre et qui saigne. Entre paranoïa et bouffonnerie, Jamais plus de peine ni d'oubli fera longtemps méditer un extrait de la postface de l'historien Miguel Angel Garcia : « la farce est la forme d'art le plus authentiquement prolétaire et la plus capable d'exprimer comment lutte et meurt notre classe, bien mieux que la forme épique qui est celle des nobles et des seigneurs ».
Le livre Juillet 1974 : Juan Domingo Remondo dit Nito voit le jour alors même que Juan Perón rend son dernier souffle. C´est le début d´un destin aussi déraisonnable que celui de l´Argentine contemporaine.
Nito est un enfant à part, doté d´une rare intelligence et d´une obsession pour la mort. Marqué par la disparition précoce de son père, il s´adonne très tôt à une véritable passion macabre. Devenu prédicateur pour un gourou évangéliste, Nito s´engage dans un projet délirant et visionnaire...
Délicieusement obscène, admirablement écrit, Living débute comme un roman d´apprentissage et évolue vers une farce à la construction subtile. Ce récit foisonnant, critique drôle et acerbe de l´Argentine des trente dernières années, forme un grand roman politique porté par un souffle picaresque réjouissant.
L'auteur Romancier, journaliste et essayiste, Martín Caparrós est né à Buenos Aires en 1959. Figure intellectuelle emblématique du monde hispanophone, il a étudié en France et publié une vingtaine de livres. Living, son deuxième roman traduit en français après Valfierno (Fayard, 2008), a reçu en 2011 le prestigieux prix Herralde.
Début 1985, on trouve dans le quartier de la Bastille des affiches représentant un homme torturé. Victor Blainville cherche à en savoir plus et se lie avec des exilés argentins. Pendant ce temps, la rumeur enfle : des membres des escadrons de la mort auraient débarqué à Paris alors que va s'ouvrir à Buenos Aires le procès des chefs de la junte...